Pour son deuxième film, Sam Levinson met les pieds où il veut et c’est surtout dans la gueule du puritanisme de façade de la société américaine. En résulte, Assassination Nation, un teen-movie/thriller pas forcément très fin dans son propos mais dynamitant la bien-pensance à bon gros coup de masse.


Depuis toujours le teen-movie s’est fait un malin plaisir à décortiquer les problèmes inhérents à l’âge ingrat au travers des carcans de la société. La plupart du temps, les cinéastes prêtaient une attention particulière à rendre l’identification des plus réalistes tout en conférant une certaine universalité dans le propos que l’on peut toujours retrouver près de 30 ans après, comme c’est le cas avec John Hughes. Mais parfois, certains préfèrent y aller de façon plus extrême, oubliant peut-être la finesse, grossissant le trait pour faire passer leur message, et même si ce dernier garde cette universalité, il est délivré dans une espèce de défouloir jouissif qui le rend tout aussi marquant. L’un des exemples les plus frappants de ce schéma est le cultissime Heathers de Michael Lehmann où le couple Winona Ryder/Christian Slater partait dans une croisade dévastatrice contre les trois plus grosses bitchs de l’école. Cette année, alors que cet objet culte a subit un reboot sous forme d’une série ayant beaucoup fait parler d’elle et pas de la plus glorieuse des façons, attisant une certaine controverse vis à vis de ses personnages et la représentation de certaines minorités, Sam Levinson débarque avec le vrai héritier 2.0 de ce genre, Assassination Nation.


Alors qu’aujourd’hui, toutes nos vies sont régies par les nouvelles technologies, l’Internet et particulièrement les réseaux sociaux, où la course aux likes est devenu un sport quotidien, le hack et la fuite des données peuvent apparaître comme un cauchemar terrifiant. C’est malheureusement ce qui va arriver à la paisible ville de Salem aux États-Unis où la fuite de toutes les infos personnelles du maire dans un premier temps, puis du principal, et enfin de la moitié de la ville va entraîner la mise en place d’un climat apocalyptique. Le film suit 4 jeunes amies, Lily, Bex, Em et Sarah, répondant au profil typique de l’instragrammeuse, qui se voient devenir la cible de la ville tout entière, après que des photos compromettantes de Lily l’ont affichée comme la « salope » de la ville. C’est là que le choix de la ville de Salem n’est pas anodin, car c’est une véritable chasse aux sorcières de l’ère numérique qui va avoir lieu. En 2018, ce ne sont plus des maléfices qu’envoient les sorcières mais des « nudes ». Du jour au lendemain, Lily et ses amies vont devenir des parias, victimes de slut-shaming pour avoir au final simplement profité de la vie comme beaucoup d’autres jeunes de leur âge.


C’est cette hypocrisie générale qui va d’ailleurs être le centre névralgique de l’œuvre de Levinson. Tout le monde connait la sainte nation puritaine des États-Unis, une société qui n’aura rien qu’en ce qui concerne le cinéma fait preuve d’une censure des plus importantes, mais dont la véritable morale est à des années lumières de cette image. L’un des exemples les plus marquants du film concerne le maire ultra conservateur de la ville qui mène une double vie en totale contradiction avec son programme. Levinson va alors pendant 1h50 s’amuser à déchirer ce masque de la pudibonderie américaine, maltraitant les couleurs de la bannière étoilée à la moindre occasion. Et pour cela, le fils de Barry Levinson, ne va pas y aller de main-morte et l’annonce dès les premières secondes du film avec un montage avertissant contre tout les trigger warning du film allant de la transphobie aux viols, en passant par la fragilité des égos masculins. En passant par absolument tous ces éléments, Sam Levinson fait passer son message avec la subtilité d’un rouleau compresseur. Cela augmente le côté galvanisant de l’entreprise, dégommant cette grosse façade à l’aide d’un boulet de démolition. Les 4 « sorcières » vont alors se métamorphoser en véritables anges de la vengeance, Levinson invoquant même la figure japonaise du sukeban, terme désignant les gangs d’adolescentes délinquantes. Le girl power prend l’ascendant sur le diktat masculin. Vêtues de leur ciré rouge et armées jusqu’aux dents, les 4 amies décident une bonne fois pour toutes de mettre fin au patriarcat régissant la société. À ce niveau, la jeune Odessa Young est une belle révélation, imposant son charisme, et sachant jouer de ses atouts, elle incarne à perfection la it-girl superficielle en façade mais cachant une véritable rage contre le monde qui l’entoure.


Ce concept de façade ne se retrouve pas uniquement dans le fond d’Assassination Nation, mais également dans la forme. Levinson sait que pour faire son message important au près des générations concernées, il est obligé de les attirer avec ce qu’ils adorent. C’est un peu pour ça certainement que le metteur en scène décide d’y aller franco dans sa démarche. La réalisation se fait alors très tape à l’œil, avec un côté clipesque assumé. Levinson multiplie les effets de styles, que ce soit dans les splits-screens, les mouvements de caméra acrobatiques, les ralentis ou les incrustations sur l’écran. La mise en scène pétarade de tous les côtés, et témoigne d’une énergie, d’une fougue propres à la génération dont elle fait le portrait. Les excès y sont nombreux et souvent très graphiques. Mais à côté de ça, un certain plaisir de cinéphile s’exerce aussi. Le cinéaste n’hésitant pas à convoquer au travers d’une citation certains grands noms et mouvements cinématographiques comme le rape & revenge, ou même rendre hommage le temps d’un plan séquence fascinant à Dario Argento et son mythique Ténèbres. Derrière cette façade pop, Assassination Nation est loin d’être un film clinquant juste bon à titiller les adolescents avec son abondance de néons ou sa bande-son reprenant la fine fleure de la scène électro/pop/rnb comme Abra, Tommy Genesis ou Charli XCX. À la manière d’un Spring Breakers que beaucoup considéraient comme superficiel, le film de Levinson infuse tous les marqueurs de cette génération ultra-connectée et se les approprie pour en faire le véhicule parfait pour transmettre sa pensée sur l’environnement qui l’entoure. Assassination Nation confronte ces deux visages de l’Amérique. Deux visages qui fusionnent dans son générique de fin avec cette reprise du tube de Miley Cyrus prônant une émancipation certaine par une fanfare symbole clé, avec le football, du lycée américain.


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Bondmax
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le 7 déc. 2018

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