Atlantique est un drame fantastique franco-belgo-sénégalais réalisé par Mati Diop. Le film a reçu le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes 2019, et cette sélection en compétition officielle fait de Mati Diop la première cinéaste d'ascendance africaine à en faire partie. Depuis 2004, elle a réalisé six court-métrages (dont un s’intitule Atlantiques). En parallèle, elle joue dans des longs-métrages, où elle commence auprès de Claire Denis. Ses expériences et longues années de travail ont mené à ce premier film d'exception de la réalisatrice française et sénégalaise, 15 ans après son premier court-métrage.
L’histoire se déroule au Sénégal, dans une banlieue populaire de Dakar. Privés de salaires depuis plusieurs mois par leur patron trop gourmand, des jeunes ouvriers décident de quitter le pays et de traverser l’océan pour un avenir plus prometteur. Alors, le jeune ouvrier Souleiman (Ibrahima Traore) laisse Ada (Mame Bineta Sane), qu’il aime, derrière lui. Elle est promise à un autre homme qu’elle n’aime pas : Omar. Après un incendie incompréhensible lors du mariage d’Ada et Omar, un jeune policier Issa (Amadou Mbow) débute une enquête.
L’océan, au cœur des espoirs et désillusions.
A Dakar, là où les buildings se dressent en verticalité, la vie de ceux qui œuvrent à les construire est menacée par la précarité d’un système économique destructeur qui les pousse à rester au sol, et parfois à s’étendre à l’horizon, en prenant la mer. Ce monde des hauteurs s’effondre petit à petit, à travers le regard et les corps de la jeunesse sénégalaise. L’Océan est au cœur du film, il tisse les mystères qui font surgir le feu de sous un lit. Filmé à de nombreuses reprises et ponctuant le film, l’océan devient une étrangeté effrayante qui semble détenir tous les secrets. Le récit du film ainsi que l’histoire d’amour entre Ada et Souleiman sont englobés par les profondeurs abyssales des sonorités de la musique composée par Fatima Al Qadiri. La musique, dont l’ambiance mystérieuse est toujours dosée avec justesse, dessine au creux de nos oreilles des images aussi rassurantes qu’angoissantes, aussi mélancolique que futuriste. Hors du temps, on ressent l’eau qui s’écoule autour des personnages.
De l’onirisme au fantastique, une mise en scène efficace.
Noyés dans le mystère qui plane au dessus d’eux, les personnages se retrouvent pris dans des flots de visions incontrôlables. En même temps, l’avare patron du building “Atlantique” en construction est menacé par des visites fantomatiques à son domicile. Au fil de ces séquences oniriques se profile une mise en scène d’une simple efficacité, allant toujours à l’essentiel. Mati Diop utilise des effets de trucages sobres (notamment avec des miroirs) qu’elle maîtrise afin de créer par le cadrage et le montage un univers diégétique qui tend au fantastique.
Dans ce monde du rêve et de l’être, on saisit l’inspiration que le cinéaste thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, dont elle admire le travail, peut avoir sur le sien. Les images quelquefois d’une beauté glaciale et tranchante s’évaporent aussi pour laisser place à une chaleur étouffante et fiévreuse. La collaboration avec la directrice de la photographie Claire Mathon (qui remporte le César de la meilleure photographie pour Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma sorti la même année) donne lieu à une odyssée visuelle puissante des quartiers populaires et des âmes qui les peuplent.
Atlantique est un premier film chargé d’une ferveur remarquable qui révèle une cinéaste talentueuse et prometteuse. Tant dans sa forme que dans son fond, le film est touchant, bouleversant, et maîtrisé de bout en bout, jouant avec le genre délicat du fantastique. Le regard poétique et vif de Mati Diop sur ce qu’elle filme occupe l’esprit longtemps après visionnage. Ce film nous hante en provoque l’envie ardente de faire d’autres découverte comme celle-ci.
Critique de Théo Lambros pour Le Crible (IG: https://www.instagram.com/lecrible_/ / FB: https://www.facebook.com/LeCribleMagazine/)