S'il est reconnu en grande partie comme étant l'un des grands comédiens français de sa génération, Albert Dupontel l'est également, depuis maintenant une bonne vingtaine année, en tant que réalisateur inspiré, au style décalé et parfois cartoonesque, le tout sur fond de satire sociale corrosive.
Des films comme "Bernie", "Le créateur", "Enfermés dehors", "Le vilain" et plus récemment "Neuf mois ferme" (dont on ne peut s'empêcher de penser que le succès populaire a déteint, dans le bon sens du terme, sur "Au revoir là-haut"), petits bijoux d'insolence et d'humour noir s'il en est, sont venus gentiment botter le train d'un cinéma français ayant parfois trop tendance à s'enfoncer dans un populisme facile et un peu trop gentillet pour être honnête(coucou "Bienvenue chez les ch'tis").


Dès lors, le fait que Dupontel ait décidé, en guise de nouveau projet en tant que réalisateur, de s'attaquer à l'adaptation du roman "Au-revoir là-haut" de Pierre Lemaître (Prix Goncourt 2013), pouvait à la fois réjouir et surprendre.
Réjouir dans le sens où l'histoire (une escroquerie mené par deux anciens combattants de la Première Guerre Mondiale) constitue du tout cuit pour Dupontel et pouvait laisser libre court à son humour noir déjanté et à son amour pour les personnages paumés, malheureux mais néanmoins en quête d'un avenir meilleur.
Surprendre dans le sens où les cinq films qu'il a précédemment réalisé restaient avant tout des films relativement modeste en quête de budget, à mille lieux des comédies françaises "made in Kev Adams, Frank Dubosc, Dany Boon, Kad Merad et consort".
Puis est arrivé le succès-surprise de "Neuf mois ferme" (plus de 2 millions d'entrées), applaudit par la critique et nominé à plusieurs reprises aux Césars. Nul doute que ce coup du destin est à l'origine de la volonté du romancier Pierre Lemaître lui-même mais aussi de celles des producteurs (il faut bien le dire) de vouloir qu'Albert Dupontel en réalise l'adaptation.


Bref, Passons maintenant au film en lui-même. Que vaut-il véritablement ?
Si "Au revoir là-haut" marque certes un profond virage dans la carrière de Dupontel réalisateur (ne fut-ce qu'en terme de budget), force est de reconnaître que, premier exploit, le cinéaste n'en a pas perdu son âme d'auteur. Malgré les gros moyens dont il a disposé sur ce film, son humour mordant et son penchant social satirique sont toujours là. Si ces deux notions sont moins repérables que dans "Bernie" ou "Enfermés dehors", elles apparaissent par petites touches et transparaissent via les caractéristiques physiques et psychologiques des personnages.
A cet égard, Albert Maillard et Edouard Péricourt, les deux héros principaux respectivement interprétés par Albert Dupontel et Nahuel Pérez Bisacayart (découvert dans "120 battements par minute" sortit en août dernier) sont clairement des personnages décalés. A la fois attachants de par leur vécu (deux survivants de la "Grande Guerre") et tour à tour provocateurs et pathétiques de par leur vaste supercherie, ils viennent compléter sans problèmes la galerie de héros absurdes et tragi-comique que Dupontel adore tant.
Là où l'on peut remarquer une certaine innovation dans l'écriture de ses personnages, c'est assurément dans celui du sadique lieutenant Pradelle, campé avec délectation par Laurent Lafitte. Lâche, manipulateur, tortionnaire et dépourvue de toute forme d'émotion, Pradell constitue de loin le salaud le plus détestable imaginé par le réalisateur (Dupontel ayant par ailleurs apporté quelques modifications par rapport au roman original).
Quant au goût pour la satire social, on le retrouve de manière plus nuancé (période historique véridique oblige) que dans ses précédentes oeuvres. Tandis que la Première Guerre Mondiale vient tout juste de s'achever, la France, en pleine reconstitution financière, juge bon de laisser de côté les moins chanceux, ici en l'occurrence les "héros de guerre", ceux venus se battre pour sauver leur patrie, en les condamnant à exercer des boulots relativement absurde ("homme-publicité", "monteur d'ascenseur"), tout en laissant les plus nantis de ce monde continuer à vaquer à leurs occupations en toute impunité.
S'il s'avère nettement moins féroce et trash que d'habitude sur ce point-là, Dupontel n'en reste pas moins corrosif dans la dénonciation de ce système en ce sens qu'il présente l'ensemble de ces personnages (Albert Maillard, Edouard Péricourt, Pradell, mais aussi Marcel Péricourt, père d'Edouard) comme une belle bande de corniauds, obnubilés qu'ils sont par leur envie et besoin d'argent à tout prix, au point même d'y perdre les notions de légalité et illégalité.


Autre point sur lequel ce film se démarque aisément du tout venant de la production française actuelle, c'est au niveau de sa réalisation. A l'instar des six autres films de Dupontel, "Au revoir là-haut" fait preuve d'une réelle ambition artistique de mise en scène.
Empruntant tour à tour à l'imagerie du cinéma muet burlesque américain des années 30 (musique entraînante, comique de gestes, d'objets et utilisation contrasté du "noir et blanc") dans les moments de flash-back entre Edouard Péricourt et son père, au cinéma classique des années 30-40 pour le souffle romanesque imprégnant les séquences dans les tranchées en début de film et qui n'est pas sans rappeler de manière lointaine le cinéma de Marcel Carné (dont le destin d'Edouard Péricourt n'est pas sans rappeler, de manière différente toutefois, celui du personnage de François l'ouvrier interprété par Jean Gabin dans son film "Le jour se lève") en passant par quelques clins d'oeil appuyé aux numéros cinématographiques musicaux de Busby Berkeley, "Au revoir là-haut" démontre à la fois tout l'amour sincère et respectueux qu'Albert Dupontel porte à ses pères de cinéma mais aussi son envie, très farouche, de se démarquer clairement de la production actuelle, tout en conservant néanmoins une certaine envie de cinéma populaire.


Ce qui fait aussi que "Au-revoir là-haut" est clairement moins caustique que "Le vilain" ou "Enfermé dehors" et surtout nettement moins trash et provoquant que son premier film "Bernie", réside dans l'envie (assumée ceci dit) de la part de Dupontel de s'attirer un plus large public que d'habitude.
Non content d'afficher un casting de choix (Laurent Laffite, Niels Arestrup, Emilie Dequenne, Mélanie Thierry sans parler de l'espoir montant Nahuel Pérez Biscayart, assurément LA découverte cinématographique française de l'année) et de disposer de solides moyens financiers, Dupontel signe un film à la richesse folle, à la poésie douce et gentiment décalée (les séquences de flash-back sont à cet égard très réussies), à l'esthétique saturée de couleurs chaudes (en particulier le jaune et le rouge) qui n'est pas sans rappeler à certains égard le cinéma de Jean-Pierre Jeunet, et au propos social gentiment satirique.


En résulte un film au talent indéniable, de grande qualité et qui prouve que le cinéma français, quand il sait se montrer un minimum ambitieux et inspiré, a encore de belles heures devant lui ; le tout sevi par des comédiens en très grande forme (mention spéciale à Nahuel Pérez Biscayart, jouant quasiment tout le temps le visage masqué et dont le jeu très physique et mécanique n'en est que plus impressionnant).


Albert Dupontel se montrerait-il plus gentil avec l'âge et le temps ? Oui, mais tout en restant un minimum décalé et surtout, en restant fidèle à ses ambitions d'auteur.

f_bruwier_hotmail_be
8

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Créée

le 2 déc. 2017

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