Ce premier long-métrage de l’artiste pluridisciplinaire Baloji Tshiani ouvre un univers fantastique et musical à la croisée de multiples cultures. De la République Démocratique du Congo à la Belgique, le créateur a su fonder une identité poétique complexe en assimilant les fractures de l’Histoire à son monde sensible, en quête de déconstruction.
Attentif aux moindres bruissements, le spectateur pénètre, par des détails narratifs soignés, dans les fractures de l’héritage colonial. Le personnage central est pris au cœur du clivage entre ceux qui sont restés et les immigrés. Travaillé par un sentiment d’abandon, Koffi tente, en vain, de rétablir le lien avec ses origines alors que tout semble l’en empêcher.
En proie à un malaise, ces identités errantes ont recours à la magie et à la sorcellerie. Dans une satyre nuancée, Baloji (signifiant « homme de science » et « sorcier » en swahili) livre un portrait lyrique des rituels omniprésents dans la culture locale. L’auteur ne se limite pas à une plate critique de l’obscurantisme et du conservatisme associé, mais se réapproprie ces croyances pour développer leur potentiel esthétique.
Les exorcismes et processus de divinations intègrent le récit comme autant de signes d’interprétation ouverte. Chacun est convié à investir le rôle éponyme d’Augure, dans une mission d’observation continue. Baloji reprend des coutumes ancestrales telles qu’elles sont parvenues dans le quotidien populaire pour former un style hybride.
Autant de micro-intrigues colorées, foisonnantes et mystiques, s’imbriquent en révélant à chaque fois un pan dérangeant de la société. Au fil du chemin dissolu d’une famille, avec détours et énigmes, se dévoilent des rapports de classes et des divisions dues aux phénomènes de racisation. Pourtant, Augure, n’annonce pas de militantisme ou de parti-pris univoque mais se place plutôt dans une posture humaniste d’interrogation.
Enfin, cette œuvre met un point d’honneur à transgresser les frontières : frontières de genre, frontières politiques ou limites affectives et psychologiques, sont sans cesse remises en cause dans un profond désir d’indépendance. C’est un pas étonnant et enchanteur vers l’accomplissement d’une parole de Patrice Lumumba, premier ministre du Congo-Kinshasa indépendant assassiné en 1971, déclarant : « L’Afrique dira un jour son propre mot, l’Afrique écrira un jour sa propre histoire. »
Auteur : Elio Cuilleron
Site d'origine : Contrastes