Osti de crisse de tabarnak de câlisse !

Musique : Roller - Forever Pavot


Après avoir embrassé de force une présentatrice sportive en direct à la télévision, Cédric est remercié par son entreprise. Son entourage l'incite à se repentir, alors pour se racheter une conduite, il décide d'écrire une lettre d'excuse à cette femme puis à toutes celles qui auraient pu être blessées par ce système patriarcal. Nadine, la femme de Cédric, reste quant à elle indifférente à cette remise en question si soudaine, jusqu'à ce que son mari embauche une baby-sitter pour garder leur enfant et faire bien d'autres choses.


Un film engagé, aux influences multiples, qui n'a pas fonctionné sur moi : pas assez drôle pour nous faire rire ; pas assez subversif pour nous questionner. Monia Chokri semble se blottir dans l'absurde pour donner de la force à son propos, mais c'est tout le contraire qui se produit. Car la réalisatrice accouche d'un film étrange, étrangement banal.


Cette chronique est susceptible de divulgâcher des éléments importants de l'histoire. Je vous invite à voir le film avant de lire ce papier.

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Mot clés : Misogynie ; Égalité ; Féminisme ; Machisme ; Sexisme ; Couple


Dans quelle mesure le malaise peut-il servir ou desservir une dénonciation ?



I. Un malaise kitsch qui décrédibilise le propos.


Sans introduction aucune, disons-le d'emblée, ce film est bizarre. Il est étrange dans son arc narratif, dans ses cadrages, dans sa direction d'acteurs, et… C'est déjà pas mal. C'est suffisant pour placer le spectateur dans une situation d'inconfort voire de malaise. Un malaise provoqué de deux manières : la première par des effets qui tombent à l'eau (par exemple le comique de répétition tenté par Jean-Michel et Tessier qui répètent successivement « signe ! » et « répond ! » à Cédric, jusqu'à agacer le spectateur) ; la deuxième par des décalages insistants et radicaux par rapport à la situation d'énonciation (par exemple lorsque Nadine poursuit Cédric avec un god-ceinture dans la forêt). Dès lors, le visage des spectateurs s'affublent consécutivement de sourcils froncés, de sourire gêné puis de joues gonflées d'exaspération… Oui, qu'ois-je ? « C'est du second degré, espèce de tanche ». Ah. Écoutez, je suis de bonne foi, je veux bien vous croire. Il n'empêche que le second degré n'excuse pas tout mauvais goût. Le kitsch a sa place cinéma, en témoignent les « nanars » qui entrent malgré eux (ou pas) dans la postérité. En dépit de cela, le film échappe à cette étiquette pour deux raisons : il pastiche ce registre sans l'assumer pleinement et il n'est pas assez ridicule pour s'en réclamer. En somme, il n'y va pas à cent pour cent.


Cependant, à travers cette esthétique faussement punk, aux airs de séries B ponctuées de zooms et de fondus grotesques, le dénonciation pourtant si grave vire à l'absurde.

Toutefois, la réalisatrice offre un cocktail d'influences (horreur, comédie, conte, érotique, fantastique, théâtre, etc) mais les limites de l'adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre et les thématiques abordées rend l'exercice périlleux. Car, mal dosée, cette profusion entraîne une confusion. Le propos de la réalisatrice devient flou, que dénonce-t-elle réellement : le patriarcat et les violences banalisées qui en découlent ? le manque de communication au sein d'un couple ? l'emballement hypocrite des médias vis-à-vis du mouvement #MeToo ? L'instrumentalisation des femmes dans un système patriarcal ? Sans doute tout cela à la fois. Cependant, à travers cette esthétique faussement punk, aux airs de séries B ponctuées de zooms et de fondus grotesques, le dénonciation pourtant si grave vire à l'absurde. Tout est mis sur le même plan, c'est peut-être son but après tout.



II. Une absurdité pour dénoncer l'absurdité.


Mais est-ce si gênant finalement ? C'est peut-être à cet endroit précisément que veut nous emmener la réalisatrice : dénoncer l'absurde par l'absurde. Car loin d'édulcorer le propos, cette mise en scène ridicule souligne l'ineptie de la situation. Assez proche du troublant Bad Luck Banging or Loony Porn (2021), l'atmosphère est étrange, explicite et exagérée. Les stéréotypes sont alors emmitouflés dans une couverture d'absurde. Le but de la réalisatrice est alors d'installer une ambiance et de provoquer un rire nerveux dans la salle - manque de pot, nous étions 5 dans cette salle pourtant si grande.


Car là, réside la véritable absurdité : Ce sont finalement les femmes les grandes absentes de cette histoire.

Car là, réside la véritable absurdité : Ce sont finalement les femmes les grandes absentes de cette histoire. Tout le monde s'agite autour d'elles, sans qu'elles aient demandé quoi que ce soit. Les femmes contemplent le spectacle ridicule des hommes. Dans cette fresque caricaturale, les hommes sont niais, sexistes et hypocrites et les femmes mutiques, lascives sinon réduites à l'état de femme-objet. Les deux sont des stéréotypes ambulants.


N'oublions pas que « Quand on lutte contre des monstres, il faut prendre garde de ne pas devenir monstre soi-même. Si tu plonges longuement ton regard dans l'abîme, l'abîme finit par ancrer son regard en toi. » écrivait Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal (1886). C'est exactement ici que réside le problème. La réalisatrice semble se moquer du male gaze (regard masculin), mais en singeant les archétypes d'un style qu'elle veut critiquer, elle se confond avec lui. Les intentions sont certainement différentes, voire louables mais qu'en restent-ils ? Encore une fois, le manque d'audace rend le procédé inopérant. Il n'empêche que le spectateur ne reste pas indifférent face à cela. C'est peut-être ici que réside la seule véritable force du film, elle pousse le spectateur à s'interroger sur ces situations, se poser des questions sur ses propres représentations. Du moins, il devrait.



III. L'étrange comme outil de divertissement.


« C'est aussi une comédie », martèle-t-elle sur les plateaux de télévision, de peur que sa veine engagée n'effraie les spectateurs les plus timorés. Euhhhh. Sur le papier, oui, c'est une comédie. Factuellement le film est censé être drôle. Je m'arrêterai ici.


Nous ne sommes pas face à un étrange dérangeant à la façon David Lynch, réalisateur de Mulholland Drive (2001), ou à la façon poétique de Bertrand Mandico, réalisateur des Garçons sauvages (2017). C'est un étrange décalé, source de rire (enfin normalement) à la manière de Apné (2016) réalisé par Jean-Christophe Meurisse. À cet égard, la scène d'introduction est très réussie : Trois hommes assistent à un match de M.M.A. et délibèrent ensemble sur le caractère callipyge d'une femme sur le téléphone de l'un d'eux, puis deux femmes sont incluses malgré elles à cette discussion avant que le combat ne commence. Une discussion sexiste malheureusement ordinaire. Toutefois la vivacité et l'énergie de la mise en scène donne une tout autre dimension à la scène et plonge immédiatement le spectateur dans une situation d'urgence. On est aspiré dans l'humour gras et la vulgarité par les champs et contrechamp qui s'enchaînent et les zooms qui se succèdent. Personnellement je n'ai pas rigolé à m'en fêler les côtes, mais c'est une proposition intéressante.


En plus de cela, la réalisatrice prend appui sur une grammaire visuelle bien connue du spectateur, celle des suburbs américains. Des décors qui charrient avec eux des représentations héritées de Desperate Housewives (2004 - 2012), de Edward aux mains d'argent (1990), de Pleasantville (1998), ou plus récemment celles de Vivarium (2019). Des banlieues américaines standardisées et dont l'uniformisation entre en contradiction avec la déviance et l'étrange qui se dissimulent derrière les murs de ces belles maisons. Monia Chokri souhaitait un décor où « la pomme est pourrie de l'intérieur » confie-t-elle au micro de France Culture. De ce décalage risible entre la sobriété des façades et l'extravagance de la situation, naît une véritable dénonciation, un véritable engagement. Restons sur cette note positive.

Moodeye
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le 10 mai 2022

Modifiée

le 10 mai 2022

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Moodeye

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