http://mauvaisgenresaucinema.wordpress.com/2014/10/26/critique-balade-entre-les-tombes/

Balade entre les tombes est un film noir brillant, sombre, jusqu’au boutiste, qui tient du début à la fin, évite les écueils et les clichés, le tout pour livrer un film profond, intègre, sulfureux, bourré à craquer de messages aussi insolents, parfois classiques, mais indémodable et quelque fois aussi mystérieux, nous rappelant les grands du film noir aussi bien que du polar littéraire, Dennis Lehanne en tête pour ma part, avec quelque chose aussi de True Détective qui a quelque part lancé le mouvement. Car il est vrai que, timidement certes, le film noir semble signer son retour, il y a eu des signes avant coureur, The Killing en est un, par exemple, mais l’on sent bien que plus qu’un effet de mode, c’est l’essence même d’un genre qui a influencé à la fois le cinéma comme la littérature et maintenant le petit écran qui s’exprime. Le film noir n’est jamais mort, semblent nous dire ces cinéastes qui déclarent de bout en bout leur amour du genre, et avec leur peloche affirmées, comme un Mange tes morts, dont j’ai parlé précédemment, il y a là un hommage, un cri du coeur, plein d’amour et de ferveur, qui sort de ces images.

Un coeur noir luisant, c’est ce que possède le film, avec un héros typique du genre, le détective privé portant sur ses épaules les erreurs du passé qui entravent chacun de ses mouvements et en même temps le délaisse de la peur de mourir, d’une certaine morale aussi, c’est un écorché vif, mais aussi un acharné, une âme maudite qui ne cherche au fond, qu’à racheter ses fautes. Il y a une histoire de rédemption derrière pratiquement chacun des personnages, le client, un homme dont la femme a été tué d’une manière particulièrement atroce, un dealer mordant, au regard froid et métallique qui a pourtant la figure d’un héros, il cherche lui aussi le pardon, le rachat de ses fautes, comme ce Peter, le drogué qui fait la connexion entre le détective et le client, épave qui évoque un Jesse Pickman plus abimé encore, tous ont l’air d’être passé sous les roues d’un camion, ils continuent pourtant, persuadé de trouver le pardon au bout de la route, bien décidé à affronter le mal véritable, absolu, (enfin de vrais méchants) qui les attends, qui les a privé de ce qu’ils aimaient. Et puis il y a ce gamin, aussi énigmatique qu’attachant, ce véritable super héros caché derrière une tignasse en bataille et des manières de gamin des rues qui dresse des barrières inutiles.

Pour autant ils sont tous gentils, des héros abîmés, habités par des démons, pourchassés par les fantômes, mais ils sont là, chevaliers blancs partant affronter des ténèbres, le tout sur un fond de noirceur, la ville de New York des années 90, prête à affronter l’apocalypse, le bug de l’an 2000 ou le vrai choc, celui du 11 septembre, le plan final y fait clairement référence, est peinte curieusement d’une manière qui pourrait tout aussi bien être chicago, il y a un côté gothique, dû aux tombes, il y a aussi cette architecture de la ville, où l’on traîne dans les bas fond puis les intérieurs chics, à l’extérieur tout est sale, abandonné, tagué, et les intérieurs sont beaux, blancs, propres, mais ils masquent un vide, un manque, une absence, un deuil qu’on ne peut affronter, un prénom qu’on ne peut prononcer, l’absence de force aussi, le manque total de réaction face à un choc trop fort pour nous. Il y a aussi l’aspect technophobes de Liam Neeson qui incarne une vieille école tenant malgré tout, résistant à la modernité qui menace de l’avaler. C’est un vrai détective, qui va sur le terrain, adopte les bons réflexes, nourrit par son instinct qui le taraude. Et puis il y a son assistant, le jeune T.J. qui ne supporte pas les sodas, qui vit dans la rue, affirmant une résistance naturelle à un système qu’il fuit autant que ce dernier le rejette. Que voir dans tout cela, des hommages rendus, un message entre les lignes, une référence?

L’image de ce couple étrange que forme le détective vieillissant et ce jeune gamin des rues, l’un esquinté par la vie, hanté par ses erreurs, l’autre filant dans l’obscurité, rebelle par nature, déployant parfois des sommets d’intelligence et une certaine innocence aussi qui résiste à l’obscurité et au mal, j’y vois là un parallèle avec un autre couple aussi étrange, comme si Scudder était un Batman, et T.J. un Robin. Il y a un peu de cette innocence là dans leur relation, et peut-être un peu de ce cliché là aussi, c’est le seul qu’il ne parvienne à éviter au fond, et le seul qu’on puisse lui pardonner. Car c’est aussi le message donné à la fin, ce n’est pas dans l’affrontement final aussi brutal que sanglant, qui n’offre au fond aucun réconfort, que pourrait bien apporter la mort d’un bourreau si elle ne ramène pas à la vie l’enfant brisé dans son élan par une balle perdue? Ce n’est pas la vengeance qui apporte le pardon et éloigne les ombres, repousse le mal, c’est dans cette relation aussi bancale qu’attendue entre le jeune garçon des rues et le vieux détective usé ne tenant plus que par des bouts de ficelles.
Sophia
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le 5 nov. 2014

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