Dans l'Allemagne de l'Est du début des années 80, une jeune médecin de Berlin, Barbara, est rétrogradée dans une petite bourgade proche de la Baltique. Là, elle travaillera dans la clinique où officie André, le chef du service.

Elle est froide, peut-être même rigide mais encore gracieuse, et entre en résistance silencieuse contre cette vie qu'elle subit. Lui est plus résigné : on hésite à le regarder comme un pragmatique ou au contraire comme un idéaliste, non pas dupe mais simplement discipliné. Sans qu'on le soupçonne sur le champ, on apprend au gré de leurs discussions qu'il a lui aussi fait les frais, quelques années plus tôt, des errements de la police politique.

L'histoire de ce film s'articule autour de la relation que ces deux personnages vont nouer, progressivement mais sans concession. Jusque-là, rien de bien original. Mais on ne saurait occulter le contexte dans lequel elle s'inscrit : elle en est à la fois le reflet et la transgression, ou plutôt le dépassement.

Elle est d'abord frappée du sceau de la méfiance et de la suspicion, où les questions posées cherchent à identifier de coupables contradictions, où toute spontanéité est totalement bridée. C'est elle, surtout, qui par sa distance, sa dureté presque abrupte instaure un tel climat, d'emblée, pour s'isoler. Avec l'aide de son amant, elle organise en secret son passage à l'Ouest, et cet indicible dessein lui vaut d'être épiée par un officier zélé et des voisins sans relief. Lui, installé là depuis plusieurs années, semble avoir accepté cette existence de pénitence.

Assez vite, il manifeste des attentions ; mais elle lui fait savoir qu'elles sont inappropriées. Parce qu'elle sait pertinemment qu'André doit rédiger des rapports à la brigade qui viole son intimité en faisant irruption chez elle à toute heure du jour ou de la nuit, elle oscille entre une franche hostilité – qu'elle veut ériger comme l'ultime rempart de son indépendance d'esprit – et un imperceptible relâchement, le temps d'une conversation, où les silences, les respirations et les regards ont autant de poids que les mots. Elle ignore si cet intérêt est authentique ou malveillant. Mais cette douce tranquillité, cette délicatesse constante ne traduisent que la naissance d'une émotion. Il n'y a rien d'autre à cacher.

Toute la sensibilité de cette relation tient à cette étrange alchimie, entre prudence et liberté de ton, pudeur et désir d'altérité: en elle s'incarne la confiance, qui s'installe peu à peu, sans que l'on sache vraiment pourquoi, sans que l'on en saisisse tout à fait l'origine. Alors, Barbara, toujours stricte, sourit parfois.

Les patients qu'ils veillent tous deux sont des prétextes pour se parler, et peut-être même s'éprouver. Le rôle dévolu à ces êtres fiévreux est d'ailleurs bien plus important que ce que l'on pouvait imaginer : Christian Petzold démontre ici toute son habileté pour transformer une présence a priori purement circonstanciée, réduite à la seule crédibilité d'un scénario, en un de ses éléments déterminants. Plus subtilement encore, elle réveille deux caractéristiques immédiates du personnage éponyme : son abnégation et son sens du devoir. Quand son amant de l'Ouest lui souffle qu'elle sera libre de ne plus travailler une fois de l'autre côté, son absence de réaction laisse à penser qu'elle cherche encore un sens à sa vie.

Ce n'est pas un hasard si ce film dépouillé mais précis a reçu l'ours d'argent de la mise en scène au dernier festival de Berlin. Tout y est finement ciselé, et l'art du questionnement et du paradoxe est concrétisé jusque dans son environnement, inhabituel mais finalement si harmonieux. Ce n'est pas celui des bunkers et de la grisaille des autres films qui traitent de ces temps et de ces lieux. L'histoire se tient en été. La lumière, les goûts et les couleurs conservent toute leur place. Et André voudrait que Barbara en prenne conscience : il y a une vie aussi, de ce côté-ci.
AstridRoger-Vas
9
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le 4 janv. 2013

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