J’avais découvert Bartok le Magnifique (1999) chez un ami il y a des années de cela mais comme je n’en avais gardé aucun souvenir, j’ai décidé de le revoir, et Dieu, que c’est trognon ! Spin-off de l’inoubliable Anastasia (1997) et avant-dernier long-métrage animé de Don Bluth, ce film sous le signe du voyage initiatique séduit à sa propre manière. D’un ton léger, voire festif, il réunit tous les ingrédients d’un bon divertissement pour enfants selon moi, à commencer par des personnages délirants, héros éponyme compris. Aussi parlerons-nous de lui en premier.

Du côté du Mal dans Anastasia, Bartok est ici un artiste de rue vantard qui aime jouer les héros devant le peuple de Moscou ; il se produit avec Zozi, un ours porté sur le théâtre. Mais un soir, le prince Ivan est kidnappé et c’est à lui que la régente royale Ludmilla assigne la lourde tâche de le sauver de la sorcière Baba Yaga. Prenant son courage à deux pattes, notre chauve-souris albinos se lance donc dans l’aventure avec son ami à fourrure, devenant progressivement le héros qui sommeillait en lui.

Bien que le scénario soit simpliste, l’arc de Bartok est suffisamment bien géré pour que le film parvienne à saisir notre intérêt. En effet, c’est réjouissant de le voir surmonter les obstacles à force de bravoure, d’ingéniosité et de compassion, lui qui n’est jamais « qu’une pauvre petite chose. Pas tout à fait un rat. Pas tout un fait un oiseau » (dixit Baba Yaga). Aussi, le duo qu’il forme avec Zozi est sympathique. Quand l’un ne se perd pas dans des digressions, l’autre, qui est un brin narcissique, ne peut s’empêcher de tomber dans la déclamation, ce qui occasionne des situations décalées. Mais heureusement, jamais les enjeux n’en pâtissent, ce qui indique un bon dosage du comique de caractère.

En revanche, une chose me tracasse : Bartok et compagnie sont des animaux anthropomorphes qui peuvent interagir avec les humains mais pas Puka - le chien – dans Anastasia… ? Pourquoi ? A moins qu’une partie des animaux ait été touché par un sortilège leur ayant donné la capacité de parler et de se comporter comme des humains (mais qu’on ne mentionne pas), je ne comprends pas bien cette différenciation, aussi utile soit-elle à la diégèse. D’un autre côté, réduire les personnages au silence nous aurait privé de leurs formidables doubleur.euse.s. Par exemple, Hank Azaria est parfait en Bartok. Il a une voix amusante qui déraille tout le temps, ce qui rend notre chauve-souris d’autant plus mignonne. En outre, je me suis régalée de la voix ultra-sexy de Tim Curry dans le rôle de Skull (seul personnage en image de synthèse et c’est pas plus mal). Et quelle ne fut pas ma surprise d’entendre Jennifer Tilly doubler Piloff, l’animal de compagnie de la sorcière. Je la trouve meilleure que son homologue française qui a une voix trop juvénile à mon goût. Cela dit, même si j’ai une préférence pour les voix originales, la version française du film reste tout à fait honorable ; j’aurais juste préféré une autre voix pour Zozi que celle de Richard Darbois, car elle le rapproche trop d’un autre ours que celui-ci a doublé en 2003 au sein des studios Disney, un certain Baloo (bien que leurs designs diffèrent totalement).

Evoquons les designs justement : comme dans le film dont il est dérivé, Bartok le Magnifique use d’images de synthèse et bien que je n’apprécie guère l’incrustation de CGI dans les films animés faits mains d’habitude, j’avoue avoir trouvé le tout homogène et plaisant à regarder. De plus, si Anastasia comportait des personnages - pour la plupart humains - dessinées à la Disney, soit de façon réaliste, on observe dans Bartok le Magnifique que le trait est plus souple, limite cartoonesque, accentuant l’expressivité des protagonistes et leur côté rigolo. La seule à ne pas avoir été conçue ainsi c’est Ludmilla, du moins dans un premier temps. Et si je bloquais au début sur ses formes anguleuses (son menton ressemble à une mine de crayon), je les trouve finalement de mise pour représenter son côté carré et traditionnaliste. Quant au prince Ivan, les dessinateurs auraient pu faire un effort pour lui donner un autre design que celui de Dimitri ; sérieusement, mis à part leurs nez, tailles et âges, ils sont quasi-identiques, au point que l’on pourrait croire qu’Ivan - qui porte le nom de Roumanov au passage - est véritablement le fils de Dimitri et d’Anastasia, auquel cas l’aventure de Bartok le Magnifique surviendrait des années après les évènements du premier film. Mais rien ne nous indique quand sont censées se produire ces actions : Bartok ne révèle jamais un lien qu’il aurait eu avec Raspoutine dans le passé et il se donne tant de mal pour secourir le prince que de l’imaginer basculer dans le Mal par la suite me paraît inenvisageable. Vraiment, c’est impossible qu’une bestiole qui se laisse émouvoir par les petites filles et propose des câlins aux sorcières puisse se reconvertir en suppôt de Satan, vous ne me ferez pas croire ça !

Par ailleurs, ce qui caractérise ce film d’animation, ce sont ses chansons. Bien qu’elles ne soient pas aussi marquantes que celles d’Anastasia, elles restent relativement agréables et s’incrustent limpidement dans le récit qui lui-même passe. En clair, Don Bluth est un bon conteur. Les personnages sont introduits sans détour, l’élément déclencheur ne met pas une plombe à arriver… bon après, hormis l’épisode avec le forgeron de la forêt, les péripéties auraient gagné à être plus impressionnantes et le dénouement moins prévisible, mais tout s’enchaine avec rythme et l’émotion ne manque pas. Nul doute que ce réalisateur/dessinateur/animateur s’imposa comme un sérieux concurrent des studios Disney (où il débuta sa carrière) durant les années 1980-1990. A ce propos, je ne sais pas si c’est volontaire de sa part mais certains passages de son film font furieusement penser à ceux de films Disney : par exemple, Skull rappelle la Caverne aux Merveilles à tête de tigre dans Aladdin (1992), la rencontre de Bartok avec la sorcière est analogue à celle entre Arthur et Madame Mim dans Merlin l’Enchanteur (1963) et Zozi qui se travestit rappelle Petit Jean (qui est également un ours) dans Robin des Bois (1973).

Néanmoins, ce qui éloigne ce film des Disney serait le traitement de ses scènes dark, lesquelles pourraient ne pas convenir aux enfants de moins de 6 ans, à mon avis. Bien sûr, les Disney (surtout les premiers) regorgent de scènes intenses ayant traumatisées des générations de tout-petits, comme la transformation de la méchante reine dans Blanche-Neige et les Sept Nains (1937) ou encore l’image d’Aurore hypnotisée par Maléfique dans La Belle au bois dormant (1959), mais ce film soutient la comparaison en termes de vision cauchemardesque.

Par exemple, Skull a un « aspect [particulièrement] rébarbatif » (dixit Zozi), puis le troll/forgeron, qui doit faire au moins 100 fois la taille de notre héros ailé, est d’une grande agressivité. Aussi, pendant la scène où la méchante (inutile de dévoiler qui c’est) se transforme en dragonne dans le donjon, on aperçoit plein de prisonniers qui croupissent, enchainés, et c’est assez perturbant (en plus des proportions dégueulasses que la dite méchante se paye à ce moment-là).

En fait, de ce que j’en comprends, les Don Bluth sont plus sombres que les Disney dans leurs scénarios, Bluth cherchant - je cite - « à rétablir l’animation en tant que forme d’art, en créant des sujets qui intéresseront le cerveau adulte » au lieu de faire des « films baby-sitters [comme Disney] que les enfants voient pendant que les parents font du shopping » (interview donnée durant sa période Space Ace). Du coup, j’ai hâte de découvrir le reste de sa filmographie pour voir jusqu’où il a pu aller dans son style plus mature.

Enfin, bien que nettement au-deçà d’Anastasia et de courte durée (67 mins), Bartok le Magnifique reste un chouette divertissement. Avec son héros au fort capital sympathie, ses protagonistes majoritairement attachants, son univers coloré et enchantant, sa petite touche d’humour, ses moments trépidants, ses chansons entraînantes, sa bonne morale, ou plutôt ses bonnes morales, et par-dessus tout, son animation fluide, ce film conquerra avant tout les plus jeunes, à quelques exceptions près. 7/10

MalaurieR
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes films d'animation préférés (hors Disney et Ghibli)

Créée

le 14 janv. 2024

Critique lue 43 fois

1 j'aime

Critique lue 43 fois

1

D'autres avis sur Bartok le Magnifique

Bartok le Magnifique
MalaurieR
7

Petite chauve-souris deviendra grande

J’avais découvert Bartok le Magnifique (1999) chez un ami il y a des années de cela mais comme je n’en avais gardé aucun souvenir, j’ai décidé de le revoir, et Dieu, que c’est trognon ! Spin-off de...

le 14 janv. 2024

1 j'aime

Bartok le Magnifique
YohanBaka_Jacquere
7

Petit mais magnifique

C'est un petit film préquel d'Anastasia très chouette , il est très court 1h05 avec peu de budget et cela ce sans des fois , mais qu'est ce qu'il est riche de bonne idées et de belle mise en scènes ...

le 7 mars 2021

1 j'aime

Bartok le Magnifique
Lia-Baggins
7

Le merveilleux héros du jour...

Petit direct to VHS, spin off d'Anastasia, Bartok ne bénéficiait pas du budget ou du temps d'un long métrage cinéma et pourtant il en ressort un film très sympathique qui aurait mérité qu'on s'y...

le 6 mars 2021

1 j'aime

Du même critique

L'Étrange Noël de Monsieur Jack
MalaurieR
5

Ho, ho, ho, quel Noël abracadabrant !

L’Etrange Noël de monsieur Jack (1993) de Tim Burt-, pardon, Henry Selick, fait partie des longs-métrages d’animation des studios Disney les plus décevants que j’ai pu voir. Etant donné le culte...

le 31 déc. 2023

2 j'aime

Sangoku - Dragon Ball, tome 1
MalaurieR
9

Commencement génial d'un manga d'anthologie

J'ai lu le tome 1 de Dragon Ball (1985) et voici mon verdict :Ce que j'ai aimé- La pureté de Son Goku alors qu'il découvre le monde et le sexe opposé en la personne de Bulma- La dynamique entre Son...

le 21 juil. 2023

1 j'aime

Les Valseuses
MalaurieR
3

La liberté sexuelle de deux délinquants, c'est très limite

o Bons points (ce que je retiens de positif du film)- Le thème principal est la liberté/ libération sexuelle post-1968, une manière de rompre avec la France conservatrice et de dynamiter ses...

le 16 janv. 2024

1 j'aime