L'avantage avec Batman est le même qu'avec des personnages comme Sherlock Holmes, Tarzan ou encore Fantomas (histoire de placer une référence française) : en 70 ans d'existence, il a connu plusieurs vies. Ne serait-ce qu'en BD, il fut tantôt froid, tantôt loufoque et s'est vu affubler d'ennemis en tous genres (le Joker, Catwoman, Bane, Killer Croc ou, plus récemment, Hush). Car Batman est une œuvre collective qui s'est enrichie au fur et à mesure de ses réinterprétations par de nombreux auteurs et dessinateurs.
Du coup, lorsque Tim Burton s'empare du personnage, il ne trahit personne ! Il ne fait que s'approprier à son tour le mythe (bien qu'il n'ait pas encore les mains totalement libres sur cet opus). On ne peut pas dire non plus que le film de 1989 présente une incarnation du personnage totalement différente de ce que l'on a déjà pu voir : le ton est assez proche de la BD The Killing Joke d'Alan Moore et on décèle par moment des références à The Dark Knight Returns de Frank Miller. Alors oui, le Chevalier noir y est extrêmement froid et violent, il lui arrive même de tuer. Ce n'est ni plus ni moins que le personnage qui nous est présenté lors de sa première aventure dans le Detective Comics #27, en 1939. Et quant au lien qui unit Batman au Joker, ne pouvait-on pas imaginer plus bel hommage fait à cet emblématique adversaire ? Et qu'importe si Harvey Dent est noir, Nick Fury ne l'était pas lui-même avant la réforme Ultimate.
Une fois les sempiternels questionnements sur la fidélité au matériau d'origine mis de côté, on peut s'attarder sur le film en lui-même. Visuellement, il se rapproche des films noirs des années 30/40 (période durant laquelle le personnage fut créé), l'architecture de Gotham City y aidant pour beaucoup. Même si on devine des références à l'expressionnisme allemand cher à Burton, elles n'y sont pas encore exacerbées comme dans la suite. La mise en scène est extrêmement soignée, d'une élégance folle (certains plans font penser à des cases de BD), jouant énormément avec les ombres, et nous réservant quelques fulgurances comme l'assassinat du couple Wayne ou encore le final au sommet d'une église gothique.
Côté casting, tout le monde se souvient de Jack Nicholson qui a réellement donné vie au Joker, qui pour le coup est totalement fidèle à son incarnation des âges d'or et d'argent de DC comics. Michael Keaton incarne un personnage totalement torturé qui n'a besoin que d'un regard pour exprimer ses émotions, et Kim Basinger, simple faire-valoir féminin au premier abord, permet de révéler le duel intérieur entre Bruce Wayne et Batman.
Film culte qui a marqué le personnage dans les années 90 (la série animée lui doit beaucoup), ce premier essai de Tim Burton n'est pas une adaptation de comics à proprement parler, mais un véritable film de cinéma. Et ce n'est pas parce que Christopher Nolan a réussi sa propre interprétation du mythe qu'il faut oublier l'excellent travail accompli par l'auteur d'Ed Wood.