Le cinéma américain a un millénaire d'avance sur son homologue français. Non pas tant d'un point de vue des moyens que dans sa capacité à traiter de sujets d'actualité brûlant, quitte à poser un regard terrible sur les propres errements de l'administration US. Ainsi la Guerre du Vietnam a été disséquée alors que les effluves de napalm ne s'étaient pas encore totalement évaporées et que les paroles de Killgore résonnait au cœur des ténèbres. Un autre bel exemple est bien entendu le Zero Dark Thirty, analyse clinique, chirurgicale de la traque de Ben Laden. Un regard puissant, froid, sur un moment d'histoire immédiate. Je ne suis pas de cette approche, préférant le recul pour tirer des conclusions plus muries. Mais toujours est-il que ce travail quasi journalistique m'avait emporté l'année dernière. Kathryn Bigelow avait encore frappé. Cette fois-ci, cependant, elle n'avait pas eu les honneurs de l'oscar fraîchement glané pour son Démineur. "Suspense absolu", "regard terrible sur le guerre d'Irak", les louanges s'étaient enfilées comme sur un collier de perle. Et puis je l'avais vu. D'accord, sacré film d'action et de suspense ; mais de là à glaner un oscar du meilleur film, il y a avait un pas que je n'aurai pas franchi. Regard terrible sur la seconde guerre d'Irak, sur ses soldats déboussolés ? Merde, mais regardez donc Battle for Haditha !

Cette longue introduction me paraissait nécessaire ; oui, le cinoche US a la capacité d'embrasser des thématique politiques puissantes, des questionnements vraiment percutants. Mais il n'est pas le seul. Le cinoche anglais, aussi. Battle for Haditha repose sur un fait réel ; en 2005, suite à une série d'attentats à base de bombes artisanales fauchant les Marines dans leurs Humvees, une escouade, soutenue par sa hiérarchie, pète un plomb. Faute de trouver les poseurs de bombes ou les sbires d'Al Qaïda, les hommes fauchent des civils. Une vingtaine de gosses, femmes, vieillards, offert à Arès et Phobos.

Le propos comme la forme du film sont quasi documentaires. Nick Broomfield a fait le choix, souvent critiqué ici et là, de prendre le temps de montrer la vie des Marines et des Irakiens avant une dernière demi-heure frénétique de massacre. On s'ennuie, ai-je pu lire ici et là. J'ai beaucoup de mal, à titre personnel, avec cette approche quasi consumériste. Si le Démineur de Bigelow ne nous laissait pas le temps de nous ennuyer, il ne posait pas non plus de questions très profondes et ne s'attardait aucunement sur la complexité des enjeux. Pire, le rythme frénétique nous enfumait, moi le premier. Ici, on est plus proche du travail fait sur Bloody Sunday, même si les deux films ne sont pas totalement comparables. A titre personnel, j'ai été beaucoup plus touché et mis mal à l'aise par cette virée furieuse au cœur d'Haditha. Les Marines, joués par des vétérans pour nombre d'entre eux, sont montrés sans fioritures. Jeunes, incapables de prendre la mesure du conflit qui les broie, ils sont là pour tuer. Leurs camarades sautent sur des bombes artisanales, se font ouvrir le crâne par des snipers qui se cachent dans des maisons civiles et ils doivent faire avec. Alors ils se gavent de heavy metal et, de temps en temps, comme leurs ainées de nombreuses guerres, ils pètent un boulard. Les Irakiens se demandent s'il faut suivre Al-Qaïda, s'il faut vivre, fuir, se battre, aider les insurgés pour se faire dessouder par les Marines, aider ces derniers pour ce faire dessouder par les premiers. Alors, pris entre le marteau et l'enclume ils préparent la fête pour la circoncision du petit dernier, s'accordent une sieste crapuleuse et prient pour que la guerre passe à côté.

Non, à aucun moment je ne me suis emmerdé dans cette heure qui prenait le temps de poser les acteurs du drame à venir. Il n'y a pas de suspense, dès les premières minutes nous savons comment tout se termine. Lorsque le drame survient, le film devient terrible. Qui sont les salauds ? les Marines ? Les terroristes ? Bush ? La démocratie qui devrait s'imposer partout ? La faute à pas de chance ?

Un peu de tout ceci, sans doute. Car c'est un plaisir étrange qu'a l'humanité de plonger dans ses ténèbres. Battle for Haditha nous donne froidement ces faits pour que chacun puisse prendre la mesure de notre connerie. On sait que la guerre est terrible ; il n'est jamais inutile de le rappeler. De Palma évoquait déjà les errements des GIs au Vietnam avec Outrages ; ici, les soldats de l'oncle Sam ne sont pas les seuls à nous donner leur point de vue. Enfin, oui enfin, les ennemis sont là. Parfois caricaturaux sans doute - je pense surtout à l'officier irakien de l'ex armée de Saddam -, mais ils sont là. Terrible aussi, sans doute les pires moments à bien y réfléchir, que ces types, derrière leur écrans qui balancent des missiles grâce aux joies de leurs drônes. "Et, un vieux se balade avec une pelle. Une pelle ? Pelle = trou, trou = bombe possiblement enfouie : ok, un missile sur le gueule, au cas où". Et puis à choisir pour aborder ce conflit irakien entre un essai esthétisant sans scénario réel sur un démineur "qui est tellement plein de suspense trop fort qui a eu 6 oscars - au moins il nous a évité que ce soit Avatar" et ce coup de poing, il n'y a pas le début du commencement d'une photo. Jamais les actes ne sont justifiés. Il ont existé, tout simplement, et existeront encore longtemps. Car nous sommes des Hommes.

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le 24 févr. 2014

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Aqualudo

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