"Beijing Stories" est un film à la dérive, sur des êtres à la dérive.
Comme un lointain cousin de son compatriote Wang Bing, dont il n'a pas, toutefois, l'aridité superbe, Pengfei Song ne craint pas d'attacher son spectateur aux pas de personnages dont l'humilité extrême découragerait n'importe quelle caméra.


C'est ainsi que l'on suit jusque dans les sous-sols d'immeubles de Pékin où, parmi des dizaines d'autres, ils se sont aménagé chacun une cellule souterraine, un récupérateur de meubles au rebut et une danseuse dénudée, elle aussi glaneuse de regards au rebut. Pengfei, à la manière d'un entomologiste, va nous rendre témoins de l'organisation à la fois dérisoire et admirable de leur vie pitoyable : murs contreplaqués de cartons roses pour la chambrette féminine ; ficelle astucieusement déroulée puis suivie et réenroulée pour parvenir à se déplacer dans ces souterrains et à surmonter la cécité passagère qui affecte l'homme, Yong Le ; aide discrète, presque volontairement invisible, apportée par la femme, Xiao Yun, à celui qui, de toute façon, ne risque provisoirement pas de la voir... De ce qui pourrait paraître sordide ou misérable, Pengfei fait surgir l'inaltérable beauté, la persévérante grandeur.


Il ne verse toutefois pas dans un optimisme béat : telle Psyché, perdant Amour pour avoir tenté de le voir, Yong Le perdra Xiao Yun à partir du moment où, ayant recouvré la vue, il pourrait mesurer sa beauté... La solitude des deux personnages semble d'autant plus douloureuse qu'un autre destin a été frôlé. A l'image de la trajectoire parallèle qui nous est montrée : la lutte disproportionnée de Jin contre les promoteurs qui veulent à toute force acquérir le terrain sur lequel repose sa maison ; lutte dont il sortira apparemment victorieux, tous ses biens vendus et engouffrés dans ce combat juridique : les promoteurs, lassés, lui abandonnent sa maison, qui ne les intéresse plus, mais a perdu toute valeur...


Dérision, amertume, mais, au bout du compte, inestimable grandeur de l'humain ; même s'il ne lui reste qu'elle et sa solitude.

AnneSchneider
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le 11 janv. 2016

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Anne Schneider

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