Le sujet de ce film de Jonathan Glazer est confondant: un petit gars de 10 ans, un peu timide, rondouillard, pas très bien dans sa peau, est persuadé d'être le mari - mort il y a dix ans justement - de sa belle voisine du dessus. Et il le lui dit.
La pauvre Anna (merveilleuse Nicole Kidman) est bouleversée: elle a fait - avec bien du mal - le deuil de son mari adoré et s'apprête à la grande joie de la famille à épouser Joseph, qu'elle a rencontré il y a quelques années, à qui elle a fini par dire oui, et qu'elle est persuadée d'aimer, comme elle le lui dit et redit avec quelque conviction...
La déclaration du petit Sean provoque un cataclysme dans ce milieu de bobos new-yorkais: les apparences convenues du bonheur et de la réussite volent en éclats, révélant tourments infinis et drames intimes.
Sous nos yeux incrédules, l'improbable scénario se dévoile peu à peu avec une fatalité vraiment implacable: le spectateur attentif pense à Visconti (Mort à Venise), à Kubrick (Eyes wide shut,Barry Lyndon), à Amenabar (les Autres): écriture, image, musique, jeu d'acteurs entrent en harmonie, créant une parenthèse hors du temps, une yellow brick road à rebours vers l'absolue détresse des adultes et l'espoir pour les enfants, renvoyant subtilement à la Nuit du Chasseur.
Nulle vulgarité scabreuse, nulle pédanterie lourdaude et puritaine non plus dans cette oeuvre majeure.
On pense à cette phrase écrite il y a plus de deux mille ans: "Chacun souffre. O Soleil dans ta course entraîné, tu ne vois de là-haut que des infortunés".