A touch of sin de Jia Zhang-ke (2013) semble servir régulièrement de tremplin d’approche pour le nouveau film chinois du jeune Diao Yinan dans la recherche de similitudes entre les deux oeuvres. Le tableau de la Chine contemporaine que dépeint le cinéaste n’est effectivement pas si éloigné de celui de Jia Zhang-ke. Mais le médium de la critique et le genre dans lequel s’inscrit Black Coal s’en détachent formellement, arborant à la fois ses grandes forces comme ses petites faiblesses.

La volonté de Diao Yinan est d’abord celle de réaliser un pur film noir, respectant les codes du genre en cherchant à les détourner légèrement. Comme dans Le Faucon maltais de John Huston, il ne faudra donc pas s’attendre à une limpidité parfaite dans la résolution de l’enquête, ou une piste toute tracée avec un guide lors de la recherche d’indices et d’interrogatoires de suspects. La grande zone d’ombre de Black Coal, ce sont d’abord ces six années qui séparent la mort du meurtrier présumé de la découverte de nouveaux cadavres similaires. L’inspecteur Zhang, dans un climat hivernal et des paysages urbains comme ruraux littéralement paralysés, va tenter de percer le mystère d’abord sans conviction, jusqu’à sa rencontre avec l’employée de la teinturerie. Femme antipathique et moralement atteinte, cette dernière va repousser le trop curieux Zhang, ne laissant donc planer à priori aucune ambigüité sur son rôle dans cette affaire. Nous découvrons bien trop prématurément que ce personnage y est intrinsèquement lié, et l’attente de la résolution de l’enquête se fait plus ennuyeuse qu’haletante. À posteriori, aucune prise de recul ne s’opère, nous faisant observer indifféremment ces personnages qui lèvent leurs masques pour s’affirmer dans leur vraie nature.

Il faut néanmoins signaler les folles ambitions esthétiques du film rendant les deux environnements (urbain et rural) immersifs et inquiétants. La peur, le dégoût d’actes ultra violents surgissent comme du sang sur un mouchoir blanc, prenant aux tripes un spectateur captivé ou sceptique devant l’avancée de l’intrigue. La violence est donc le seul point commun avec le film de Jia Zhang-ke, même si sa mostration est parfois d'un tout autre calibre. Il manque à Black Coal une mise en scène plus percutante, plus inspirée dans la composition des plans et de ses cadrages statiques. Ces défauts parviennent cependant à être rattrapés par de grands instants lyriques et absurdes inattendus survenant tardivement.

Cette longue scène dans une nacelle de grande roue où le policier et l’employée s’affrontent du regard pourrait à elle seule démontrer la principale puissance de l’œuvre : construite sur l’attente et la recherche d’indices dans le comportement de ses personnages, ces quelques plans nous happent par leur changements de luminosité et de colorimétrie (directement inspirés du cinéma de Wong Kar-wai ou d'Hou Hsiao Hsien), venant troubler un ordre du film noir classique. Et c’est lorsque Zhang, en apparence normal et n’ayant rien à cacher, viole sauvagement ce personnage féminin qui y prend du plaisir, que Diao Yinan justifie pleinement le caractère moderne inaltérable de son enquête policière. Tout comme ces feux d’artifices instaurant la joie et la bonne humeur sur ce monde enlisé dans un charbon noirâtre, figé dans une glace qui ne semble pas prête de fondre.
Forrest
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le 19 juin 2014

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