Blonde
5.8
Blonde

Film de Andrew Dominik (2022)

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Flash-back. Dans les années 80, un certain David Lynch voulu se lancer dans l’adaptation de « Goddess », une biographie de Marilyn Monroe signée Anthony Summer. Si le projet s’avérait excitant pour le réalisateur qui sortait tout juste de Blue Velvet, il n’aboutit malheureusement pas, laissant le réalisateur se pencher sur le cas Laura Palmer de Twin Peaks qui deviendra, par ricochet, une autre grande figure féminine sacrificielle, faite des pièces rapportées de l'iconique star. Andrew Dominik qui n’a pas manqué de réviser son petit précis du Lynch illustré (entre autres), sans pour autant travailler le rêve et le fantasme au corps, apprécie quant à lui les chemins de traverse, à rebours des modes et voue lui aussi une certaine fascination pour l’actrice. Après le succès relatif de L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007), il se lance dans l’adaptation de Blonde, roman particulièrement fictionnel de Joyce Carol Oates. Cette approche des événements, parfois fantaisiste, éloigne de fait le film de son socle biopic pour le transformer en démonstration virevoltante de l'enfer hollywoodien prêt à engloutir les bonnes âmes dans les abysses de la gloriole.


Dense, le projet prendra une dizaine d’années à se concrétiser. Au centre du jeu, Naomi Watts, puis Jessica Chastain sont pressenties mais c’est finalement Ana de Armas, nouvelle coqueluche du tout Hollywood depuis ses prestations dans Blade Runner 2049 et Mourir Peut Attendre, qui emporte la partie. Sa performance éclatante et sans fard donne assez de chair au film pour nous harponner  aux deux heures quarante-cinq d'une lente agonie mise en image avec un jusqu’au boutisme esthétisant un poil maniéré qui alterne noir et blanc et couleur sans réelle logique narrative mais également les formats 1.66, cinémascope et les effets optiques qui tripotent un voyeurisme malaisant. Netflix finance, émoustillé par les multiples réappropriations mettant en scène photographies cultes ou extraits exfiltrés de films incontournables (Les Hommes Préfèrent les Blondes, Certains L'aiment Chaud) comme un démontage méticuleux d'un beau livre d'images que le réalisateur essaye de salir à travers l'extraordinaire travail du chef opérateur Chayse Irvin le tout ponctué par la musique de Nick Cave et Warren Ellis. Peu de glamour ici tant la couche de psychotique est épaisse. Si on sait que la vie de Norma Jean Baker fut très éloignée du conte de fée, Blonde étale son épiphanie à la truelle pour en rajouter encore et encore sur la déréliction de la star. Rien de nouveau. L'autre côté du miroir hollywoodien est aussi le sien. Nous y voilà. Et la jeune femme se retrouve logiquement face à sa propre image, observant Marilyn comme un masque mortuaire, une pure création, à la fois sex symbol inaudible d'un public masculin aux visages défigurés par le désir, et monstre indomptable qui la dévore littéralement de l'intérieur. Une scène pivot où la star se fait maquiller face à son reflet laisse poindre cette transformation de Jeckyll en Hyde, de la Norma Jean qui n'aspire qu'à une simple vie de famille à Marilyn Monroe, fantasme incarné par sa propre désincarnation. Cette démonstration un peu grossière d'un corps possédé est symptomatique du procédé narratif et visuel en action. Une forme de schizophrénie qui culminera dans la scène avec JFK et cette fellation imposée à une Marilyn brisée, droguée, chancelante, écrasée par une voix-off qui surligne toujours plus. Toujours trop.


Andrew Dominik pense son film comme un mélange de Raging Bull et Citizen Kane mais à l'instar du Mank de David Fincher (2020) qui déconstruisait également un mythe du cinéma, quitte à travestir les faits, le script manipule la réalité historique avec des grosses pattes pour mieux enfoncer à coups de masse les salmigondis freudiens d'une très longue descente aux enfers. La litanie des souffrances imposées coche ainsi toutes les cases : de la tentative d'homicide (inventée) d'une mère aliénée à la question de l'hérédité d'un fatum programmatique, de l'absence du père fantasmé par une vieille photo au sobriquet de ses amants qu'elle appelle compulsivement "Daddy". La sur-explication ne joue que trop rarement sur l'inconscient du spectateur et appuie toujours où ça fait mal pour mieux justifier son propos. Naïve, ingénue, violée, battue, trahie, méprisée, incomprise, Marilyn suit dès lors une trajectoire rectiligne et lui donne le rôle figé de victime passive d'un système mortifère, d'un patriarcat rance et gangrené, de relations désespérément travesties qui abandonnent la star à l'impossibilité d'une quelconque normalité quand la folie médicamentée est déjà consommée.


Inexorable. Norma Jean est prisonnière de Marilyn. Enfermée, étouffée par celle-ci, jusqu’à la fin. Entouré par l'horreur d’un système où les affidés se repaissent en exerçant sur elle un pouvoir glaçant de servitude sexuelle, le film stylise à outrance, tente beaucoup, rate souvent à nous investir pleinement dans sa danse macabre. Le résultat est un portrait de femme sous influence servi dans un emballage halluciné qui ripoline salement. Très loin de l'exercice de style plan-plan façon Jackie de Pablo Lorrain (2016) pour ne citer que lui. Et dans le déboulonnage de cette usine à rêves devenus cauchemars, le film ajoute sa lourde pierre. Reste un objet filmique graphiquement splendide, interprété par une Ana de Armas fascinante de candeur expiatoire. Mais à force de vouloir à tout prix faire de Marilyn Monroe la figure post-moderne de la femme exploitée, rabaissée et avilie, Blonde frôle la caricature victimaire tout autant que la réification du mythe.

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AmarokMag
6
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le 1 oct. 2022

Critique lue 20 fois

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