Deux mercenaires traquent une IA rebelle jusqu'au confins du cosmos où une secte de sorcières satanistes boivent de l'huile de moteur pour... vous savez quoi ? Oubliez ça.


A l'origine du projet, deux réalisateurs, Raphaël Hernandez et Savitri Joly-Gonfard (que vous verrez crédités sous l'unique pseudonyme de "Seth Ickerman"), réalisent un clip pour le morceau de Carpenter Brut "Turbo Killer".


Si le nom ne vous est pas familier, Carpenter Brut est l'un des fondateurs de la Synthwave, un mouvement musical à cheval entre la synthpop et l'électro, lourdement influencé par le cinéma des années 80 et l'esthétique néon fantasmée de cette époque.


Ce petit court métrage de 4 minutes suffira à convaincre deux mille fans d'injecter 118000€ dans leur campagne kickstarter, aguichés par la promesse d'un moyen métrage de 30 minutes qui finira par en peser pas moins de 50. Est-ce que la passion et le talent suffisent à produire un film de SF quand on a exactement 440 fois moins de budget que Blade Runner 2049 ? D'un point de vue technique et visuel, la réponse est un oui retentissant.


Avec son esthétique néonesque et ses couleurs très saturée, on est quelque part entre les fresques hallucinées de Philippe Druillet et les couvertures de Metal Hurlant. Le film s'offre une esthétique incroyable et cache les imperfections de son budget serré derrière une épaisse couche d'effets, de grain, de salissures et autres artifices de post-prod qui finissent parfois par prendre un peu trop de place à l'écran.


Visuellement, le duo Ickerman confirme brillamment l'essai et parvient à conserver l'esthétique flamboyante de son Turbo Killer dans un format bien plus long sans en perdre la magie.

Musicalement, on ne change pas une équipe qui gagne et Carpenter drop ses grosses basses dès que l'action s'emballe. Le terme "Space opera" aura rarement été aussi mérité.

Est-ce que ça suffit à en faire un bon film ? C'est là que les choses se gâtent un peu. Entre ses moments les plus clipesques, quand la musique décolle et que les images les plus folles s'épanouissent sous mes yeux, le charme opère à 100%, mais ce n'est finalement qu'une fraction de ces 50 minutes.


Le reste du temps, on est dans un épisode de Star Trek un peu sale avec des dialogues pas folichons et quelques temps morts où le rythme s'étiole, avec des scènes trop étirées ou trop maladroitement réalisées pour susciter l'effet désiré. Je pense notamment à la première confrontation avec la secte.


Le film semble aussi essayer d'avoir un sous-texte féministe : les méchants phallocrates sont punis, les IA dans les vaisseaux, métaphores futuristes des figures de proue aux courbes féminines et une grosse couche de symbolisme du viol et de la procréation, amenés avec la subtilité d'un tractopelle en roue libre.

Sauf que le film passe à peine le test de Bechdel et n'utilise ses nombreux personnages féminins que pour le plaisir de les dévêtir (et évidemment, elles sont toutes taillées comme des mannequins, on voudrait pas non plus mettre des grosses à l'écran), offrant des images magnifiques et saisissantes, certes, mais en restant exactement aussi misogyne et régressif que ce qu'on pourrait attendre d'un hommage aux années 80.


Ces maladresses de script, d'écriture et parfois de montage, m'ont ponctuellement sorti du film, et j'en viens à regretter que les Ickermen ne se soient pas tenus aux 30 minutes de leur story board initial, plutôt qu'essayer d'en dire et d'en faire trop. L'instant d'après, je me laissais happer de nouveau, quand la musique et les images insensées recommencent à se faire l'amour et donnent lieu à des tableaux colorés, peuplés de vaisseaux biomécaniques flottant dans des nébuleuses pourpres et de naïades dénudées.


C'est la deuxième fois que je mentionne ces 50 minutes car il s'agit d'un format trop inhabituel pour être ignoré. Trop court pour sortir au cinéma, trop long pour être montré dans des festival où la norme est plutôt dans les 10 minutes, on peut se demander comment le projet trouvera son audience.

Bien sûr, ceux qui ont contribué au film sur Kickstarter auront leur copie et le film est distribué sur la plateforme de Streaming Shudder (encore indisponible en France) mais entre son format batard et le timing malheureux d'une épidémie mondiale, Blood Machine risque de rester une petite perle méconnue pour amateur de SF retro-psychédélique. De base, c'était déjà un marché de niche.

J'espère que la confidentialité de leur moyen-métrage ne découragera pas Ickerman de persister dans le milieu, car je serais très curieux de voir les prochains résultats de leurs ambitions cosmiques.

Ezhaac
7
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le 20 juil. 2022

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