Quand Stéphane Demoustier a des choses à dire, en général, il le fait assez simplement, sans trop d'artifices, de façon très appliquée. En témoigne La Fille au bracelet, que j'ai revu récemment sans bouder mon plaisir.

Ici, on suit Melissa (ou Ibiza comme l'appellent les prisonniers), gardienne de prison, qui se retrouve malgré elle embarquée dans des affaires mafieuses qui la dépassent.

La tension est palpable à chaque instant dans et en dehors de la prison. Elle plane au-dessus, prête à s'abattre à tout instant.

La Corse est une terre hostile, le nemesis principal de cette matonne qui chercher à trouver le point d'équilibre parfait entre son rôle de représentante de l'autorité, de femme dans un milieu d'hommes pour la plupart violents et misogynes, d'étrangère, de bouche nourricière, de femme et de mère. Oui, rien que ça.

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans Borgo, c'est que tout le réalisme brut(al) qui nous gifle du début à la fin n'est pas illustré de façon conventionnelle ou attendue.

Il émane une violence dormante, sournoise. Elle est bel et bien là, cette violence, mais elle se niche dans chaque sourire, chaque silence, situation paisible, comme si une déferlante pouvait, sans crier gare, emporter Melissa et nous autres spectateurs, par ricochet.

Le personnage joué par Hafsia Herzi est pris dans un engrenage qu'elle n'a pas choisi mais dont elle aurait pu maintes fois se soustraire. Pourtant, naïvement et/ou par intérêt, elle essaie de s'en sortir en y laissant le moins de plumes possible, très consciente qu'elle ne peut rien seule contre toute une organisation.

A mesure que les dominos sont placés, ses motivations se font de plus en plus floues, sa psychologie nous glisse entre les doigts et on voit Melissa disparaître au profit d'Ibiza, alter ego énigmatique et imprévisible aux yeux de tous (elle la première), qui joue une partition très dangereuse avec Saveriu, cet ex-détenu (interprété magistralement par Louis Memmi) toujours enveloppé d'une aura terrifiante.

Les personnages secondaires de prisonniers sont fascinants à voir évoluer. Rien n'est forcé, tous incarnent à la perfection cette chape de plomb que l'on ressent dès les premières minutes.

Mention spéciale également à Pablo Pauly, excellent dans son rôle de jeune policier. Son charisme déborde alors même qu'il n'a que quelques scènes à l'écran, courtes de surcroît.

Dans Borgo, le racisme est traité sans fard, tout comme le monde carcéral, le système défaillant, la violence physique et morale, l'intégration, tout ça sans tomber dans les clichés faciles du genre.

Borgo est un vrai film social malin et intrigant.

Et même si on sent une Hafsia Herzi qui s'essouffle un peu et dont le jeu en retenue peut parfois laisser perplexe (elle qui avait pourtant la même intériorité frappante dans Le Ravissement), on reste accrochés à cette intrigue qui nous prend à la gorge.

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le 28 avr. 2024

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