Le film commence par deux assassinats à la sortie de l’aéroport d’Ajaccio, puis nous suivons les pas d’une gardienne de prison récemment débarquée dans l’île avec son époux et ses deux enfants. L’intégration n’est pas facile, avec un voisinage résolument hostile au cours de la première scène de quartier, où leur chien disparaît après un échange d’insultes nourries où perce du racisme.

Dans la prison, M découvre un environnement ouvert du bloc 2, dans lequel les prisonniers circulent librement, une manière de faire « locale »,où elle retrouve un prisonnier qu’elle connaissait sur le « continent ». Le gars est jeune, plus gracile et souple d’esprit que ses congénères, et va servir de porte d’entrée sa matonne, comme il l’appelle.

Un rapport de séduction ambiguë se développe, alimenté d’un côté comme de l’autre, car les intentions de M nous échappent. Si nous pouvons croire qu’elle n’a d’autre choix que s’adapter à une situation dont elle est le jouet, cette opinion est mise à mal en cours de film, la jeune femme se révélant secrète dans ses intentions, même avec ses proches et ne laissant finalement jamais transparaître de faiblesse.

Cet aspect solitaire et mystérieux, bien joué, ne permet cependant pas au personnage de dépasser le service du récit, dont l’intérêt principal réside dans une description sociologique acérée de la mécanique de faveurs et de contreparties en vigueur dans toute la Corse, une réalité bien connue de ses habitants, quand bien même une majorité n’y participe-t-elle pas.

Cette culture de l’omerta très ressemblante à celle de la mafia italienne, couplée à une accommodation du fait historique et des réalités économiques par certains indépendantistes, visant à faire passer la sauvegarde de leur pouvoir personnel pour une rébellion victimisée, en attisant les douleurs d’un passé rarement explicité, s’accompagne d’une méfiance envers l’étranger pouvant virer à la xénophobie et au racisme, dans un univers masculin viriliste.

Un contexte présenté ici sans détour, une véritable performance à l’échelle du cinéma français cherchant généralement à ménager les susceptibilités des adeptes de cet environnement qu’il est permis de juger toxique, qu’on soi soi-même Corse ou non.

Qui d’entre nous n’a jamais connu un(e) collègue ou un(e) ami(e) ayant vécu sur l’île des années voire des décennies, racontant le rejet qu’elle subissait, même dans des milieux peu connus pour ce genre d’actes, comme le milieu hospitalier ? Dans le cas de la Corse, ce genre de récit se retrouvent plus souvent que dans bon nombre de nos régions hélas. Simple constat empirique, rien de plus, rejoignant celui présenté ici. Cela ne m’empêche pas de l’aimer, la chaleur de la majorité de ses habitants, sa beauté marmoréenne...tachées de tragédie.

Et iI est probable que la volonté de montrer cet état de fait est influé sur la volonté des actrices et acteurs du film pour participer au film, qui prend le temps d’installer l’atmosphère. La mise en scène brille par son invisible présence, et particulièrement dans les scène d’univers carcéral. La durée ne s’étire jamais, jusqu’au bout, la résolution de l’intrigue dont j’ai tut le balancement principal, comptant moins que son cheminement.

Une belle prise de maquis sans complaisance.

Swindgen
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le 9 mai 2024

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