Ce film à la réputation légendaire, tellement légendaire que ça en est effrayant tant tout le monde semble unanime à son sujet, se révèle être effectivement ce qui se fait de mieux en terme de cinéma classique, tant son sujet et sa réalisation transcende les codes pour en faire à la fois un film à l'intrigue captivante mais également une réflexion acide et pessimiste sur le cinéma et son milieu. A travers un récit construit comme un thriller, le film fait plutôt office de romance vicieuse et tourmentée, à mi-chemin entre glamour et syndrome de Stockholm. La mise en scène de Wilder est divine, je ne m'attarderai pas sur le pourquoi tant il y a d'éléments à relever, je citerai surtout la fameuse fin avec ce travelling sur l'escalier et surtout ce flou finale après cette fameuse réplique "Je suis prête pour mon plan rapprochée".

Ce qui est vraiment remarquable avec la réalisation de Wilder, c'est qu'il déconstruit Hollywood de la même façon qu'il déconstruit le personnage de Norma. Toutes deux semblent vaniteuses (oui pour moi Hollywood est une femme, ne cherchez pas à comprendre pourquoi) en premiers abords avant que des vices et des blessures plus profondes ne soient mises à jour de manière progressives, et ce même si elles étaient annoncées dès le début du film. La vérité est qu'à Hollywood, on regarde de la même manière que le fait Norma sur le passé, avec une nostalgie qui se meut peu à peu en illusion superstitieuse. Si Norma semble être la plus atteinte de tous ici, la fin démontre bien le contraire ; c'est le cinéma qui est à la recherche d'une gloire illusoire et maladive, et c'est le cinéma, ainsi que tous ses "acteurs" qui participent à la fin à la folie de Norma, car tous les éléments présents dans cette dernière scène sont en quête de sensationnalisme comme une hyène est en quête de charogne. Norma est aussi dévorante envers Gillis qu'Hollywood l'est envers elle ainsi que tous les autres, mais Norma est une personne et Hollywood un système, et surtout, Norma elle, sans le savoir, a déjà perdu depuis longtemps.

Gloria Swanson, habitée, despotique, obsédée et compulsive, fait de ce film un véritable cauchemar (dans le bon sens du terme évidemment). Le film fait écho à sa propre destinée puisqu'elle non plus n'a pas survécu au déclin du muet (à la différence qu'elle a su se reconvertir derrière) et ce rôle est n sursaut intelligent qui met en abîme le propos du film. Swanson incarne à la perfection toute la tourmente et la folie vécues par son personnage, et on la voit peu à peu sombrer dans une illusion destructrice. C'est une composition unique en son genre qu'elle propose: adoptant les expressions du muet, elle déclame chacune de ses lignes de façon théâtrale exacerbant le décalage temporel total dans lequel elle vit.

A l'image du personnage de Norma, Hollywood offre donc un regard étonnamment sévère sur son propre passé, ce qui est d'ailleurs accentué par le rôle d'Erich von Stroheim (absolument incroyable sur la fin) qui fait également écho à son propre passé. Wilder en fait un drame spectaculairement angoissant et fataliste, comme s'il signifiait qu'Hollywood ne pouvait être qu'un monstre dévoreur.
LeJezza

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