Chronique initialement publiée sur Cinematogrill : http://cinematogrill.e-monsite.com/articles/festival-de-cannes-2016/cafe-society.html


Film d’ouverture du festival de Cannes 2016


J’ai une amie barmaid pour une marque de boisson chaude franchisé qui m’a expliqué comment on fait un café américain. En gros on prend une grande tasse, on y met un expresso et on allonge avec de l’eau chaude pour le vendre deux fois plus cher.


Ici Café Society, terme désignant le gotha new-yorkais des années 30, commence à Los Angeles. Tout va bien.
Quoi de mieux pour dresser le portrait des mœurs d’une époque que de se placer du point de vue d’un jeune arriviste un brin naïf ? Rien visiblement. C’est pour cela que l’on suit Jesse Eisenberg (the social Network, le Jok… Lex Luthor dans Batman vs Superman, critique un jour peut être), jeune juif d’une famille modeste du Bronx – soit les trois piliers de l’œuvre de Woody- parti tenter sa chance à Hollywood via son oncle, célèbre agent de Star incarné par Steve Carell.


Si le choix de Carell s’impose aujourd’hui vu sa remarquable incarnation d’un homme de pouvoir dans Foxcatcher (j’aurais pu citer son rôle de Dieu le père dans Evan tout-puissant mais dans le long fleuve de la vie ce film est la dépouille d’un animal mort flottant à la surface), on peut noter qu’il était originellement destiné à Bruce Willis qui quitta le projet quatre jours après le début du tournage. Officiellement pour jouer dans l’adaptation théâtrale de Misery, officieusement viré par Woody Allen le trouvant trop mauvais.


Bref, les trois premiers quarts d’heure sont consacrés à un triangle amoureux au sommet duquel se trouve Kristen Stewart souriante et solaire (si on m’avait dit que j’écrirais ça un jour). Parfaite dans son rôle de fille simple qui a du chien, à l’opposée de la galerie de stars fantasques peuplant les somptueuses villas de Beverly Hills où aucun brunch n’est complet sans jus d’orange dilué au champagne. Ensuite seulement on arrive à New York, Jesse Eisenberg, son éducation sentimentale achevée, continue d’évoluer dans la « café society » de la grosse pomme, galerie en équilibre instable entre la fine satire sociale et la caricature. Notre héros est vite rattrapé par le fantôme de son séjour Californien, enfin le film s’arrête quand il peut, comme il peut, pour laisser la presse se noyer sous les superlatifs.


La règle avec Woody Allen c’est qu’il est bon une fois sur deux, en général les années paires : Magic in the Moonlight (2014) était vraiment plaisant, l’Homme Irrationnel (2015) boursouflé. En toute logique j’ai beaucoup aimé Café Society malgré une foule de défauts.


Structure en deux parties inégales (comme Escroc mais pas trop par exemple, en 2000 donc sympa), commençant par la légèreté d’Hollywood, osant les transitions ringardes ou datées entre les plans (à vue de nez c’est du Powerpoint), dont le récit est bien structurée, prenant. Arrive ensuite New York où l’on égrène les personnages sur un ton cynique accompagné de pas mal de fulgurances avec pour seul fil rouge Einsenberg. Woody voudrait donner un aspect film choral au tout mais ça apparaît trop tard, trop mal, les dérives sur les différents protagonistes dont les membres de la famille juive font plus remplissage qu’elles ne servent l’intrigue. De l’eau chaude.


Je ne dis pas que c’est désagréable, bien au contraire, en bon Jazzman que Woody improvise quinze minutes ou quatre vingt dix, je le suis avec plaisir, mais ce n’est pas parce que l’on fait un film sur la vacuité de l’existence dans un enrobage glamour à souhait que l’on se doit d’être vain. L’ironie est ici une fin, pas un moyen: Woody joue les narrateurs, fait gentiment dire à un de ses personnages « la vie est une histoire écrite par un auteur sadique » dès fois que ses 50 autres films n’auraient pas été assez clairs. Faute avouée à moitié pardonnée donc film à moitié mauvais ?


Oui et non, j’ai aimé ce croquis nostalgique d’une époque révolue, la photographie sublime de Vittorio Storaro (Apocalypse Now) a poussé Woody à se dépasser et il signe là parmi les plus beaux plans de sa carrière, faisant passer pour une toile de maître une coupure d’électricité ou Central Park au matin, mais l’habituelle (in)pertinence de son propos se retrouve noyée, la faute à une idée de base qui ne tiens pas la durée. En somme je préfère mon café sérré.

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le 12 mai 2016

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