Ma plus belle histoire d'amour... c'est vous.

C'est le film que j'attendais. J'ai envie de hurler, de pleurer tout en même temps. Depuis que 2018 a commencé, je rêvais d'un coup de coeur, et sans doute que le voici ! (preuve en est, j'ai compté, je l'ai ajouté dans plus de vingt listes !!) C’est dur d’écrire à ce propos mais c’est aussi un bonheur de chercher les mots tout en se replongeant dans ses souvenirs. Mon cœur s'est découvert, impatienté, s'est enflammé, s'est fendu et brisé en même temps que les leurs. Et pourtant, tout est traité de façon si simple. Le film prend son temps, nous berce d’eau et de soleil. Il envoie balader loin tous les clichés. Rien n'est dit, tout se sent, et on ne peut être que frappés par l’authenticité des sentiments exposés. Beaucoup parlent d’un amour de jeunesse, à mes yeux c'est bien trop réducteur... Depuis ma sortie du cinéma, les personnages m'accompagnent maintenant au quotidien, et peut-être qu'ils le feront un peu chaque jour pendant encore bien longtemps…


On ne sait pas quand les sentiments commencent à fleurir. Cela arrive comme ça, progressivement. On ne s’attend à rien, on vit simplement l'attente. Cette merveilleuse attente. Douloureuse, passionnante. De par leurs mouvements. De par ces regards fugaces mais appuyés. Il y a quelque chose d'inévitable, comme deux aimants ne pouvant aller que l'un vers l'autre. Tout est imperceptible mais fort. Les frôlements sont magiques d’être presque invivables : le massage de l’épaule sur le terrain de tennis, la main sur le poignet au moment de demander l’heure, ce massage de pieds en bas des escaliers. Et sur le balcon : ces deux mains qui se frôlent et s'attrapent, et la cigarette entre elles deux. J'aime ce plan à la folie, et c’est peut-être celui qui représenterait le mieux le film si on ne devait en choisir qu'un, car il y a là l’attente et sa résolution tout en même temps…


Le duo de tête est incroyable. Ces deux personnages sont complexes, travaillés, chargés d'incroyables nuances et munis d'une infinie palette d'émotions.
Oliver est fascinant de magnétisme et, derrière ses airs impérieux se cachent d'adorables doutes. Son détachement apparent et presque cruel (« Ne fais pas l’enfant ») laisse parfois la place à quelques sourires timides. Il fait fondre dans cette scène où il revient sur ses pas au son du piano, il est touchant d’être désarçonné quand ses pensées s’évadent alors que son hôte lui montre des diapositives, et, dans ce dernier gros plan, près de son amoureux endormi, on perçoit la profondeur de la douleur à venir. Ses yeux bleus et profonds m'ont transpercée de toutes parts. J'aimerais me perdre à jamais dans le regard d'Armie Hammer...
Elio a une galerie d'expressions assez impressionnante (les cinquante visages de Timothée Chalamet…). Il sait se montrer très différent d’un plan à l’autre, et il y a tant de fraîcheur dans ses mouvements : avec des allures de cabri, il sautille, court, ou grimpe comme un enfant sur le dos d’Oliver, quand il ne râpe pas ses chaussures sur le sol caillouteux alors qu’il est à vélo. Avec de tous petits détails il envoie mille et un signaux, à l'image de l’après-séparation à la gare : entre les larmes, les mouvements de tête, les hoquets et, les inflexions de voix, que ce soit au téléphone ou dans la voiture. Il touche profondément, et il y a un réalisme affolant dans son désarroi.
Inutile de préciser qu'entre les deux acteurs, l'osmose est totale, nul besoin de se forcer pour y croire. Michael Stuhlbarg est très convaincant, Amira Casar est lumineuse, je ne suis en revanche pas très emballée par Esther Garrel…


L’adaptation est vraiment réussie. Il est très habile de n'avoir pas choisi la voix-off (ce qui aurait été tentant, quand on sait que c’est le personnage d’Elio qui est le narrateur du livre). C’est une autre façon de retranscrire la vérité : tout dire des sentiments (retranscrits de façon presque millimétrée) comme dans le livre, ou ne rien dire sans pour autant ne pas montrer, comme dans le film.
Cela laisse tout apercevoir, tout présager.
La coupure est faite au juste moment (environ trente pages avant la fin) et laisse tout ce qu'il faut de suspension sans pour autant laisser d'espoir. Parce que dans ses larmes et ses micro-sourires, on pourrait penser à toute la suite. Inutile pour autant d’en faire un deuxième opus, car même si il est tentant de retrouver ces êtres si chers à nos cœurs, c'est un trop grand risque que cela ne fasse que gâter le souvenir doux et amer tout à la fois de ce générique de fin.
Les quelques modifications apportées sont bien trouvées, et même si j’aurais aimé voir à l’écran les rapprochements de pieds sous la table, la scène de l’ours en peluche ou celle du livre dédicacé, ce qui est omis ne nuit pas et rend même les personnages plus attachants encore, tout en lissant quelque peu l’incroyable réalisme des émotions (culpabilité, doute, regrets, …). Je ne regretterais peut-être que l’absence du personnage de Vimini, pourtant si touchant… La soirée littéraire est d'ailleurs supprimée, ce qui n’est pas pour me déplaire, et cette nuit dans les rues presque désertes n’en a que plus de charme. Les ajouts sont quant à eux presque tous merveilleux : cette salle au matelas poussiéreux, les larmes soudaines après la scène « de la pêche », …
La scène des adieux sur le quai de la gare a elle aussi été ajoutée à l’histoire d’origine (où Oliver prend l’avion -moins sexy l'avion !- sans qu’on sache dans quelles circonstances puisqu’il y a ellipse temporelle) et si on pourrait croire à du déjà vu, on est surpris tant cette scène passe vite et tant elle sait rester simple. Oliver a la tête baissée, il la tourne légèrement sur le côté, puis, enfin, la lève. Brièvement. Pas d'effusions, juste de la douleur. J'ai senti mon cœur en miettes en voyant partir le train, alors que résonnait dans ma tête la rengaine des parapluies de Cherbourg. Je t'imaginais courir et tu es resté là, Elio. Brève, intense, cette scène émeut autant qu’elle détruit.


La bande sonore est discrète, variée, et toujours très à propos tant dans le choix des morceaux que dans l’utilisation qui en est faite. Ni trop présente, ni appuyée. Entendre une ou l’autre des musiques utilisées me donne instantanément des frissons, des images, et un doux sentiment de mélancolie.
"I have loved you for the last time..."


L’émotion est bien personnelle. Pour moi elle a jailli à tant de moments qu’il est difficile de tous les citer. J'ai été touchée de beauté par ce plan « Deux mains et une cigarette ». J’ai presque fondu en larmes quant au milieu de sa gêne, Elio se jette dans les bras d'Oliver, pleurant par avance en réalisant la perte future et impensable. J’ai reçu en plein cœur ce monologue du père. Si juste et si beau, tant sur la nécessité de vivre et d’accepter pleinement ses peines que sur la mutilation qu’implique la négation de ses sentiments. Et cette conversation téléphonique, où l'on ressent si bien la joie du revoir (ou plutôt du réentendre) et l'effondrement du à ce mélange d'injustice et de douleur.


Le film réussit son pari, et on s'en aperçoit quand on lit ce passage du livre : "Un bref instant, j'eus l'impression qu'il n'y avait aucune différence d'âge entre nous : juste deux hommes s'embrassant, et cela même parut se brouiller, car il me semblait que ce n'était pas deux hommes mais simplement deux êtres". Et en effet, le film gomme ressemblances comme différences. On oublie tout et tous deux restent : deux âmes, et rien d'autre. Car avant d’être quoi que ce soit d’autre, c’est une histoire d'amour. Juste une histoire d'amour.


Et cet amour est un des plus beaux qu'il m'ait été donné de voir... Je n'ai jamais tant eu envie d'être amoureuse qu'après ce film. Envie d'être renversée violemment par des sentiments d'une force qui nous dépasse, presque à en devenir amoureuse de l'amour lui-même. Des romances, j'en ai aimé. Oui mais la vôtre, j'ai eu envie d'y être. Vraiment. La vie paraît bien pâle quand on est témoins de votre histoire. Et c'est un véritable privilège d'avoir pu assister à sa naissance, à sa vie, à sa mort. Merci à tous les deux d’avoir distribué ce rêve comme vous l'avez fait.


J'aimerais porter autour du cou cette même étoile de David, celle qui vous relie, celle qui trône entre les deux pans ouverts de cette chemise bleue claire, trop large et enveloppante, qui pourrait contenir le monde mais qui ne contient qu’elle. Car comme dirait le livre :


"Nous avions trouvé les étoiles toi et moi. Et cela n'est donné qu'une fois".

emmanazoe

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