Je n'ai pas fait de critiques depuis bientôt plus de trois ans. J'ai repris hier avec Still recording. N'allant plus au cinéma autant que je le voudrai ce film m'a réellement mis une claque et m'a renvoyé ici. J'erre sur le site depuis quelques semaines. J'ai vu Call Me by Your Name qui est à l'origine de ces errements. Me demandant ce que les gens avaient pu penser de ce film. J'ai pris une telle claque. De la beauté, un jeu juste, un scénario immensément profond en dépit d'une apparente fadeur et futilité. Je ne comptais pas en faire une critique car je ne me pensais pas capable d'en faire une ; je ne me pensais pas capable de rendre compte de mes émotions ; je ne me pensais pas capable de rendre hommage au film ou à tout ce que ma sensibilité m'a fait ressentir. (Attention spoils)


Toutefois, errant à la lecture des critiques, je me suis senti égoïste. Pour ceux qui, malheureusement, n'ont pas su voir le même film que moi. Tant mieux qu'on ne voit pas les mêmes choses mais je me suis dit qu'ils partageaient leur avis alors pourquoi ne pas présenter aussi ce que j'ai vu et ressenti, leur donner envie de le revoir, de l'apprécier. Ce film, au-delà de ce que je pourrai raconter par la suite, est d'une pureté réellement absolue. ABSOLUE. Ce n'est pas dû à des goûts mais à la maitrise parfaite de tout ce qui fait un film. Tout est juste, tout est calculé au millimètre sur la règle de la perfection. Et encore, dire que le film se mesure est impie.


Il y a quelque chose d'autre qui m'a poussé à en faire une critique, je vais donc développer cette raison en trois points :
- je ne suis plus venu sur Senscritique depuis presque 3 ans, je m'y remets juste et je constate à mon grand malheur qu'un des fondements de la critique n'est bien souvent plus respecté : l'argumentation. Le problème se trouve surtout dans les critiques négatives qui n'avancent aucune raison autre que celle du goût.
- et le goût, j'en viens là, ce n'est pas grave si on n'aime pas, et le film ne peut pas spécialement être responsable de ça, donc faire une critique sur le fond d'une méchanceté gratuite est consternant. La critique, sans me faire professeur, se fonde sur le principe d'un discours argumenté. Il y a des choses que je n'aime pas et même quand c'est difficile je cherche ce qu'il faut que je dises pour m'expliquer, pour argumenter.
- la troisième chose, c'est ceux qui apportent un semblant d'argument, qui par moments, n'a aucun rapport avec le film, ou un infime rapport, et déversent un seau de jugement nauséeux et terrifiant de haine. Oui, sur Call Me by Your Name j'ai lu des critiques qui relèvent de l'horreur, je suis désespéré de lire de tels écrits. Ce n'est pas un traumatisme mais ce que j'ai pu lire a été très douloureux. Cette haine, ce mépris, cette violence, mais quelle horreur. Je ne citerai personne, vous trouverez ces critiques sur la page du film.
Je n'en rajouterai pas plus, je pourrai passer ma critique à pleurer.


Le sujet du film c'est l'amour et le désir (lequel mettre en premier?) qui naissent dans l'esprit d'un jeune homme cultivé au coeur de l'Italie du nord dans les années 80. Cliché mais en terme de goût ce type de sujet me plait. Non seulement le lieu mais aussi l'époque se montrent aussi sujets. Sujets du style, de la construction et de la contextualisation du film. Un autre sujet est l'oisiveté, la lenteur et l'ennui. Sans me faire le chantre d'une critique de la modernité, n'oublions pas que l'ennui est un ressenti utile. Pour ma part c'est souvent l'ennui qui a précédé l'effusion. L'un ne va pas sans l'autre, l'ennui n'est pas fade et futile, c'est de lui que nait l'intérêt. Certes, le sujet se passe dans un monde "bourgeois" et facile mais malheureusement c'est bien dans ce cadre et dans ce milieu que se forme ce type d'histoire. Elle pourrait exister dans un autre cadre mais ici c'est une partie du sujet. Les années 80 et l'Italie contextualisent, elles apportent une atmosphère particulière que chacun a pu retrouver dans d'autres films mais aussi vivre, et c'est vivable, même en d'autres lieux. Il ne faut pas s'arrêter à ces éléments qui sont structurants et non pas la raison du film. Ce serait sordide et idiot. Navré pour vous. Je dis ça pour ceux qui n'ont pas jugé le film sur ces éléments mais y ont été sensibles et n'ont pas apprécié. C'est dommage et je le comprends. Ceux qui ont développé leur critique sur ces éléments, déposez votre haine à terre, brulez celle que vous portez en bandoulière et ennuyez vous.


L'ennui est un sujet majeur de ce film. La lenteur de certaines intrigues alors que tout laisse supposer une harassante réalité, comme cette scène où Elio saigne du nez et qu'Oliver n'ose pas quitter la table où ce couple d'Italiens s'écharpe sur la politique. Cette lenteur quand Elio et Oliver font une course à vélo et que le plan reste statique jusqu'à ce que l'on les perde à l'horizon. Cette lenteur quand Elio et Oliver demandent de l'eau à une vieille dame et découvrent le buste de Mussolini sous le porche. La variété des plans de l'ennui est complexe et complète. Plan statique, plan mouvant, saccades... Tout y est, l'abondance de cette présentation de la lenteur et de l'ennui donne un mouvement, donne du corps à leurs expressions. Nous sommes prévenus dès le début du film, alors que l'on pourrait supposer que l'arrivée d'Oliver sera source de perturbations, source d'effervescence, celui-ci s'endort instantanément après sa rencontre, fade et désespérante avec Elio.


De cet ennui, de cette répétition, les personnages voient émerger du désir. Le désir est un sujet du film. Du désir pour Elio qui est attiré tantôt par Marzia, tantôt par Oliver. Perdu, c'est dans l'oisiveté qu'il puisse ses énergies. Son courage, ses craintes, mais aussi son désespoir et sa haine. Oliver, lui trouve son désir dans ses contradictions. Fiancé, on ne le saura qu'à la fin, il se trouve errant avec Elio, devant l'occuper, il trouve tout de même de quoi l'admirer. Oliver admire Elio, quand Elio le désire complètement et finit par l'aimer. Ils aimeraient être l'un et l'autre. J'ai lu dans une critique que le fait qu'ils s'aiment pour ce qu'ils sont chacun dans leur individualité n'était pas bon, pas bien, et qu'ils ne projettent rien et ne pensent pas à deux, pour deux. Mais c'est tout simplement une forme de l'amour. L'universalité de l'amour n'en donne pas une forme unique. Que ce serait chiant sinon. On aime une personne, pas une idée. Le désir qui se développe du début à la fin du film est intense et mystérieux. La scène de l'abricot est évocatrice.


Je rebondis donc sur l'abricot pour parler d'un autre sujet du film, qui en réalité n'en est pas un : l'homosexualité. Ce n'est pas un film sur l'homosexualité. C'est un film sur l'amour, le désir, l'ennui et la futilité. Ce qui le montre? L'aventure avec Marzia qui n'est pas futile. Elio la désire vraiment, l'aime vraiment, l'apprécie vraiment. Mais le désir qu'il a pour Oliver est aussi intense et il sait dès le début que ce désir sera court et violent. La brièveté et l'intensité font le désir et donc celui-ci est tellement intriguant, tellement déroutant, c'est ce qui attire Elio. L'homosexualité fait partie du panel de la sexualité. Donc, quand un jeune homme voit naitre ces sentiments il n'est pas anormal qu'il se confronte à sa sexualité. A la fin du film il n'est clairement pas acquis qu'Elio ait une sexualité définitive. De même Oliver n'est pas clairement homosexuel. Et de toute façon, qu'est ce qu'on s'en moque. Amour et désir n'ont pas sexe, ni de raison, encore heureux. Il y a une attirance et un bonheur provoqué chez chacun d'eux qui est l'essence de cette histoire. L'homosexualité n'est pas présentée comme un combat, elle ne gêne personne dans ce film (et ne devrait gêner personne dans la vie). L'homosexualité n'est pas un faire valoir de ce film. D'ailleurs, l'abricot, qui est au centre d'une scène qui est selon moi déjà une scène mythique de l'histoire du cinéma, est une allégorie du sexe féminin. La distorsion qui en est faite pour devenir un objet du désir homosexuel révèle bien cette réalité unique, celle du désir.


L'amour et le désir qu'a Elio pour Oliver ne sont pas les mêmes que pour Oliver. Oliver qui est déjà formé intellectuellement et sensiblement ne ressent pas les mêmes choses. A la fois il a des codes ancrés dans on esprit mais aussi à la fois des réalités différentes de celles d'Elio. Ces sentiments sont peu montrés mais au combien puissants. Il refuse, il accepte mais se trouve bloqué quand Elio est dans la réelle conquête. Il cherche à obtenir Oliver quand Oliver cherche à se convaincre de l'obtenir. Une bonne partie de l'intrigue tourne autour du défendu. Sauf que c'est Oliver qui créé ce défendu car il sait que ce ne sont pas les codes de sa réalité. Et la création de l'ennui par ces plans lents, longs et larges matérialise, fait visualiser l'errance des personnages dans vaste espace, à la fois vide (le cadrage) et plein (le cadre culturel des personnages). Chaque plan est habité par les personnages.


Le casting est effectivement sensationnel. Timothée Chalamet est juste et convaincant. Il y a une pureté dans son jeu qui donne ce côté naïf à Elio. Alors que le personnage est construit sur une dichotomie entre culture et jeunesse, il semble finalement perdu face aux réalités de la vie qu'il ne maitrise pas à son grand désespoir. Cet élément est bien montré dans son rapport à la musique, rapport mesuré et maitrisé. Il créé de lui-même mais ne parvient pas à maitriser ce désir qu'il créé aussi. Aussi bien celui pour Marzia que celui pour Oliver.


Armie Hammer est exceptionnel. Derrière ce physique d'athlète, cet esprit affuté et cette expression d'une soit disante supériorité se cache un homme aux sentiments troublés. Quand Elio est présent dans ses moments d'égarements, Oliver est absent et le charisme d'Armie Hammer joue clairement dans la signification de l'absence d'Oliver. Quand il est là on le sait, quand il n'est pas le sait encore plus. On en parviendrait même à savoir s'il n'est pas loin du cadre. Les plans où il est aperçu aux toilettes ou filant dans un couloir ou sur son vélo, ne sont pas futiles mais montrent sa fuite autant que l'inexorable progression de son désir.


Le film est à la fois bâti sur la réalité du désir et son expression intérieure qui rayonne alors qu'il est essayé de le réprimer. C'est là que le monologue du père (joué par l'excellent Michael Stuhlbarg) prend tout son sens. Monologue que je ne commenterai pas plus pour ne pas en perdre la pureté. Texte par ailleurs magnifiquement écrit, qui aurait pu sombrer dans la facilité de la synthèse mais se révèle beaucoup trop profond pour être sans sensibilité.


La réalisation est absolument somptueuse. Elle joue avec les éclairages de la nuit, du jour qui lui-même est décliné en aube, en aurore, en soleil harassant et lourd. Les événements climatiques comme l'aridité, l'humidité ou la pluie permettent de développer les ressentis cachés, dissimulés. La chaleur et le rayonnement du soleil dans une apparente humidité rendent compte d'un érotisme palpable quand les personnages ne font que discuter de futilité ou de désir grandissant. La nuit n'est pas présenté comme le lieu du secret mais comme l'extension d'un jour qui finit toujours par naitre. L'ennui donne la force pour la vie nocturne. Les cadrages verdoyants peuplent les plans et donnent une pointe lyrique à l'action des personnages. Le jeu entre ces différents moments de la journée et les expressions de la nature fait tendre l'atmosphère vers l'onirique. Tout cela accompagné d'une excellente bande-son, brillamment choisie. Elle accompagne, habite le film comme un parfum chaud, doux et intense.


La mise en scène des personnages créé une intimité des corps. Le cadrage qui n'oublie jamais de vider le plan permet de mieux saisir les liens intenses entre tous les personnages. Les cadrages diversifiés sur les corps des personnages quand ils sont seuls donne un rythme charnel au film. De même, cette impression d'attendre l'action qui devrait se dérouler dans une sorte de tableau, qui souvent finira par bouger, ne donne pas l'impression d'être là comme simple spectateur mais nous laisse apprécier ce qui se passe dans la chair de chacun. Par exemple, la scène de la course à vélo. Les mouvements de chacun semble s'allier à ce que chacun pense et développe, comme la scène où Oliver et Elio tournent autour du monument aux morts. La scène de la baignade entre Elio et Marzia est intensément érotique et montre bien ce que provoque l'ambiance et l'atmosphère. C'est là que le jeu des couleurs et de la température sert à signifier ce qu'il se passe en chacun des personnages.


Cet été et ces amours sont celui de tout le monde et en tout lieu. Il n'y ni saison, ni lieu qui vaille pour le désir. Ce serait presque le film du soleil. Il est question d'essentiel et d'imperceptible dans ce film, pourtant tout y est universel et vrai, car les sentiments et la sensibilité ne mentent jamais.


D'un point de vue personnel c'est un style de film que j'adore. Je vais chercher à en voir un dans ce style pendant longtemps, ne jamais trouver, le revoir plusieurs fois, puis être profondément triste et perdu. Comme un désir, comme un amour, je vais le perdre. M'en souvenir comme d'un été déchirant. Puis un jour j'en trouverai un, je l'adorerai, le sublimerai et ainsi de suite. Comme dans la vie en définitive.


Je pourrai parler de ce film pendant des heures et essayer de le faire encore plus justement. Mais je n'en ai ni la force ni la capacité. Je voulais juste me montrer moins égoïste et lutter contre les sordides individus qui ont déplacé le film du cinéma vers la haine. J'ai ressenti trop de choses pour tout partager malgré tout. En tout cas, d'un point de vue strictement cinématographique ce film est un pur chef-d'oeuvre. La façon dont les personnages, les intrigues et ce qu'il y a de plus difficile à exprimer dans la fadesse d'une toile, les sentiments, sont parfaitement construits et montrés. On touche au sublime. Ce film irradie de la sublime chaleur des sentiments et du désir.

TheDuke
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le 17 mars 2019

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