Mais pourquoi avoir fait ça ? Et maintenant que c’est fait, pourquoi nous le regardons ? Pourquoi –on est obsédé par ce pourquoi, comme si toute chose devait avoir une raison, une signification, l’art surtout. Sinon, c’est absurde, de la méchanceté gratuite, n’est-ce-pas ? Enfin, l’art n’est pas forcément gentil.


On accuse, on condamne Ruggero Deodato, mais son film, nous le regardons, et nous n’arrêterons pas de le regarder. Il n’est pas plus pervers que nous, ni plus dégueulasse. Je suis le public, je suis autant coupable pour l’avoir un jour, par curiosité malsaine, regardé. Le pire, ou presque, c’est que ce n’est pas un film d’horreur, mais une sorte de documentaire. C’est plus confortable de le décrire comme tel, ça lui donne une raison d’être. D’ailleurs, c’est ce qu’il y a de plus effrayant là-dedans, ce n’est pas de l’horreur –c’est du vrai. On a même cru que les acteurs y étaient morts. Et que de controverses ont suivi.


La controverse n'est pas étonnante, partout, et surtout dans la puritaine Italie. Tout est odieux dans Cannibal Holocaust. Son racisme apparent, son insistance sur des scènes de viol, de meurtre et bien sûr de cannibalisme… Et puis cette magnifique bande originale, qui survole des images qui ne l'éclaboussent pas, reste belle, limpide, comme si de rien n’était. Odieux. C’est que l’on se doit d’en parler, de ce son. On aurait pu le mettre sur n’importe quel film, sauf celui-là. Enfin, il y a ces massacres d’animaux qui, même vis-à-vis du plus étranger à l’éthique lorsqu’il s’agit de l’art, suscitent un profond dégoût.


Mais le pire, c’est qu’alors que certains films, – naturellement la plupart– se veulent bons et deviennent mauvais, celui-ci se veut odieux, et odieusement, est bon. Avant ça, Deodato a travaillé avec Roberto Rossellini et Sergio Corbucci, les films, il sait faire. Massacre à la Tronçonneuse, de l’horreur, cette fois, réalisé six ans plus tôt par Tobe Hooper, m’avait laissé la même impression. Il faut être complétement cinglé pour faire ça, et le pire c’est que ces gens-là ont bien plus de talent que nombre d’autres biens mieux attentionnés. Je dis bon, c’est là ma seule certitude, car pas de platitude narrative dans Cannibal Holocaust, et une certaine dose d’invention avec toute une partie filmée en caméra embarquée, technique nouvelle au cinéma.


Pas de platitude narrative, je disais –c’est que le film est coupé en deux. On voit, dans sa première moitié, un professeur occidental –le film, d’ailleurs, avant de s’enfoncer dans la jungle, commence par l’Empire State Building– à la recherche de quatre reporters disparus. La deuxième moitié, c’est le documentaire retrouvé des quatre reporters.


Ce film, il est raciste au premier, au second, au troisième degré, mais je crois qu’il existe un n-ième degré pour lequel il ne l’est plus. Sa dernière parole, à la portée plutôt transparente, "je me demande qui sont les vrais cannibales" le démontre bien. Le sensationalisme de Cannibal Holocaust évoque celui des journalistes, les cannibales. Le point de vue se veut multiple. Voilà tout. Mais ceci n’explique pas tout, et ne justifie rien.


Alors, pourquoi avoir fait ça ? Tout ce que je peux dire c’est que quel que soit le coup qu’il a voulu jouer, Deodato a réussi. Il a gagné. Et donc, faut-il le regarder ? Pour le film, certainement pas. Pour le cinéma, peut-être.

nmarinel
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le 20 août 2018

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