Un titre cliché et 1h52 de boule au ventre sont les deux caractéristiques principales que l'on retire en sortant du visionnage de Love Trilogy : Chained.
On y voit se dérouler l'histoire d'un policier, Rashi, déambulant devant les caméras comme le chêne des fables de La Fontaine. Fier, fort, impliable, cet enraciné fait de bois brut ne jure que par l'autorité qu'il perçoit comme le fondement de l'éducation et la clé de tous les problèmes. Évoluant dans un environnement anxiogène, en parti construit par les chaînes d'informations mais surtout par sa profession, ce modeste père de famille décidera d'assumer seul tous les malheurs qui l'assaillent, se murant dans le mutisme lorsque les mains se tendent sans jamais que les langues ne se délient.
Cette attitude entêtée paraît adolescente tant la comparaison entre le comportement de Rashi et celui de sa belle-fille sont comparables, se réfugiant dans une posture aphone et alcoolique comme si la bière et la vodka étaient les solutions à tous les maux. Peu importe l'ampleur du problème, il ne s'agira que de modifier le volume de la boisson.


Le film s'appuie cependant sur deux qualités essentielles pour dépeindre une situation pouvant paraître simpliste de prime abord.
Premièrement, l'universalité du thème. Car cet autoritarisme du père, ces critiques réactionnaires, ce besoin de contrôle permanent et cette obstination à taire les problèmes se mêlent à de nombreux troubles sociaux. La remise en question de l'autorité policière comme paternelle, l'omniprésence d'informations anxiogènes, la sexualisation de la jeunesse, les troubles intergénérationnels ou la méconnaissance des réseaux sociaux et de ses enjeux - par les parents - ou de ses risques - par les enfants - dans la vie réelle.
Le film parvient à toucher à tous ces aspects de notre monde sans devenir lourd ou surchargé, il les traverse et nous en laisse l'appréciation, nous y confronte pour nous en laisser la critique.


Mais tout cela ne serait encore rien sans le deuxième point fort de ce métrage, soit le jeu d'acteur. Fascinante approche cinématographique que celle proposée ici par Yaron Shani. Le réalisateur prend des comédiens amateurs, la quasi-totalité ne s'étant encore jamais tenu face à une caméra. Il pose son matériel, décrit la scène à ces néophytes et laisse se dérouler une improvisation. Et de là naît la capture d'instants fabuleux que très peu d'acteurs professionnels sont capables d'atteindre.
Pas un rôle ne semble usurpé, pas une larme ne paraît simulée. En conférence, le réalisateur avouait même avoir poussé aux pleurs Stav Almagor (interprète d'Avigail) en lui demandant de jouer la scène finale et d'avoir essuyé des refus obstinés de l'acteur principal Eran Naim pour cette même scène tant l'implication de ces anonymes dans leurs personnages était intense.


Dans ce récit empreint d'un réalisme saisissant et fondé sur de froides vérités, Yaron Shani nous rappelle que La Fontaine nous est peut-être plus profitable qu'Anouilh. Car Rashi qui se déracine semble jusqu'au bout prêt à souffler, lui qui souffre de milles morts et de milles peines : "je suis encore un chêne".

F_Zappa
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le 22 sept. 2019

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