"Chronic" a un seul atout publicitaire pour lui : le prix du scénario obtenu lors du dernier festival de Cannes. Certaines mauvaises langues diront que c'est un handicap, le pourvoyeur de palmes étant pour beaucoup synonyme de films rasoirs. D'autres objecteront que ce prix fut fort décrié à l'époque, le scénario n'étant pas spécialement ce qu'il y a de plus saillant dans ce film. Alors que reste-t-il pour donner envie de découvrir ce long métrage mexicain ? Sûrement pas son scénario qui a tout du répulsif. Et pourtant, derrière cette histoire se cache sans doute le film le plus fort et le plus dérangeant du moment.
David est aide-soignant. Il s'occupe de malades en phase terminale. Nous le suivrons dans les soins prodigués à trois personnes : Sarah atteinte du Sida qui vit ses derniers jours, puis John, victime d'un AVC qui se raccroche à la vie en exprimant une forte envie de sexualité et enfin Martha, atteinte d'un cancer fortement métastasé qui voudra abréger ses souffrances. La caméra, toujours à bonne distance, jamais voyeuse, capte ces longs moments d'empathie entre cet homme doux, aux gestes infiniment professionnels mais remplis de tendresse et ses patients dont on sent bien que leur attachement n'a rien de gratuit, David étant la seule personne autour d'eux capable de leur donner un semblant d'humanité. Sarah mourra laissant une infinie tristesse dans la tête de David, les enfants de John chasseront ce soignant qui leur paraît aller au-delà la limite permise ( le film ne le dit pas clairement, mais David est peut être aussi dans ce cas là un assistant sexuel) et Martha lui demandera de mettre fin à ses souffrances...comme il l'a fait voici quelques années avec son fils.
Si la vie personnelle de David, ses rapports avec son ex femme et sa grande fille ne sont pas les parties les plus réussies mais aident à éclairer un peu ce personnage taciturne, les scènes de soin que certains trouvent trop longues, sont paradoxalement les plus réussies. J'ai déjà parlé plus haut du regard du réalisateur, aussi en empathie que son personnage principal. Dans des plans fixes, il capte magnifiquement cette attention portée aux autres, ce don de soi qui n'est commandé par aucune religion, aucun dogme seulement par le désir d'un homme de faire du bien à des êtres humains dont les heures sont comptées. De la douche et du couchage de la fragile Sarah, chorégraphie d'une manipulation d'une extrême sensibilité, de la présence tout aussi tendre et assez sensuelle auprès de John, jamais le spectateur n'est pris en otage devant un acte que certains ont pu trouver morbide, sordide. Nous sommes là, suivant, aidant du regard, pour le confort de ces personnes en souffrance. Même lorsqu'avec Martha, ne supportant plus sa chimiothérapie, il lavera son vomi ou une diarrhée, nous ne verrons pas un spectacle répugnant, juste l'exact et parfait traitement auquel tout homme et toute femme devrait avoir droit dans cette situation.
Oui, souvent le cinéma enjolive tout, même ces choses là. Seulement dans "Chronic", ce n'est pas tout à fait le cas et cela va nettement plus loin. Parti d'une histoire vraie, Michel Franco rend son film un peu plus dérangeant qu'un simple documentaire, et c'est sans doute là que se situe la qualité du scénario. En démarrant comme un polar, exigeant ainsi l'attention du spectateur, en laissant son personnage principal plein d'ombres, le rendant assez mystérieux tout en distillant des détails qui peuvent le rendre vaguement inquiétant, le film emprunte des sentiers romanesques, qui éclairent encore plus les situations de soin. Et l'on s'interroge sur cet homme, son empathie extraordinaire avec les malades. Michel Franco n'a pas peur d'aborder des sujets qui font peur. Si la mort médicalement assistée a déjà fait l'objet de nombreux films, je ne pense pas que la sexualité des malades ait eu le même honneur.
La fin sur le blog
http://sansconnivence.blogspot.fr/2015/10/chronic-de-michel-franco.html

pilyen
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le 24 oct. 2015

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