Elie, petite opératrice de 9 ans, a des étoiles dans les yeux. Littéralement j’entends : le vertigineux traveling arrière qui ouvre le film, démarrant en orbite terrestre jusqu’à reculer au-delà des galaxies les plus étincelantes, se termine génialement dans le scintillement émerveillé qui illumine le regard de la fillette. La voilà vissée à son télescope, scrutant les cieux avec son père, et tentant sans cesse à l’aide de sa vieille radio d’établir le contact au plus loin, de couvrir petit à petit – pas à pas comme il lui sera dit à la fin - de plus longues distances, espaces découverts qu’elle répertorie en punaisant la carte des US affichée dans sa chambre de petits points colorés. Adulte, animée par la même envie de toucher quelqu’un tout là-bas, toujours plus loin, c’est sur une carte du ciel qu’elle punaise ces découvertes : les petits points de couleur sont devenus des astres à des milliers d’années-lumière. Superbe ellipse !


Ce moteur qui la pousse depuis toujours au contact le plus éloigné, là-bas dans les cieux, lieu des paradis, il n’est jamais justifié explicitement dans le film. C’est dans sa nature profonde, une curiosité inébranlable doublée d’une conviction intuitive, qui fait la force et le piquant de l’héroïne. Pourtant, un indice – petit mais chargé de gravité - est donné, lorsqu’enfant elle demande à son père si elle pourrait un jour parvenir à contacter cette mère défunte qu’elle n’a jamais connue. Son père de lui répondre – avec, on le sent, un pincement au cœur communicatif – qu’aucun émetteur, aussi puissant soit-il, ne parviendra jamais à couvrir une telle distance. Moteur affectif inconscient de sa quête des points les plus reculés de l’espace ? Après tout, regarder les étoiles, c’est observer une lueur qui n’est déjà plus, une lumière déjà morte. Communiquer avec les étoiles, c’est communiquer avec les morts. Avec nos aïeux.


Puis, un peu plus tard dans le film, Elie apparait dans un champ de gigantesques paraboles plantées en plein désert mexicain. La lumière ambiante a la douceur chaleureuse du déclin du jour, et – idée magnifique - Elie adulte est en boule, recroquevillée sur elle-même comme une enfant à naître, guettant dans ses écouteurs une manifestation de vie dans le silence de l’espace. Soudain, un signal se fait entendre, une pulsation, presqu’organique, comme ce qu’un bébé entendrait des battements du cœur de sa mère alors qu’il est lové dans son ventre – premier signe de la présence de l’Autre, du tout premier autre. Elie vient d’entendre un autre cœur qui bat là-haut, celui de l’ultime Autre, là-bas quelque part parmi les étoiles.


Bien sûr, si c’est par le langage des nombres qu’il sera permis à Elie de faire le voyage jusqu’à lui (et dans ce domaine, le film est constamment lisible et convaincant à la fois), le contact avec cet Autre, lui, va se nouer à travers le cœur. A la toute fin, quand les deux se rencontrent, de l’autre côté du ciel, c’est sur une plage aux palmiers dont la courbure empreinte au souvenir d’un dessin d’enfant que l’Autre a décidé d’accueillir Elie, et c’est en caressant la réminiscence d’une pensée oubliée, de mémoire affective réactualisée, dans ces bras si réconfortants depuis longtemps disparus mais jamais oubliés, que cet Autre communique avec elle et la fait témoin de son existence. Ce Contact il est là, se passant de signes et de canaux, consistant juste à toucher un être dans sa mémoire et dans son cœur. L’Autre lui dépose un baiser sur son front, et semble alors tutoyer l'humanité entière à travers cette individualité émotionnelle qu'est Elie. Dans ce geste, c’est toute la force du cinéma qui est condensée : quelque chose qui rappelle ce qu'entretient un film avec son spectateur, le lien qu'il noue avec son public, sa nature collective, et pourtant si personnelle – fédératrice et intime en même temps.


Formidable déroulé d’une quête trépidante, suscitant l’émerveillement le plus pur au détour de moments magiques exécutés avec le brio dont Zemeckis a le secret : ce travelling arrière évoqué précédemment - le plus long de l'histoire du cinéma – et qui remonte le temps et l'espace, de la découverte de ce battement cardiaque interstellaire qui se mue rapidement en un métronome étrange et inquiétant (le bruit est génial !) venant rythmer les multiples séquences de décryptages qui sont autant de sommets d’attente excitée et de rebondissements passionnants, le premier test de l’appareil, impressionnant ballet d’anneaux immenses en mouvement et sa dramatique résolution, ce voyage final cousin de celui de 2001 qui nous laisse entrevoir par la lucarne translucide du module inter-dimensionnel l’indicible majesté de l’Univers. Le visage d'Elie recouvre l'enchantement de son enfance : ces étoiles qu'elle avait plein les yeux, elles sont là, phares à la beauté étrange dans les brumes sidérales, là tout proches, juste devant elle.


Puis, dans ce qu’il engage aussi de réflexions sur les imbrications possibles entre la foi et la science, la seconde place injustement dévolue aux femmes dans nos sociétés, l’infiltration constante du politique qui se réapproprie toutes les découvertes, travestissant les enjeux réels en jeux de pouvoir et de manipulation, sa vacuité et son dérisoire face à l’universalité du territoire à conquérir ici. Mais cette densité du film est aussi son principal écueil, lorsque toute cette fabuleuse matière se voit comprimée en l’espace de deux heures et demie de métrage et le force à certaines explicitations parfois peu élégantes et à certains développements un peu hâtifs.


Qu’importe au final, il n’en demeure pas moins une proposition de science-fiction largement enthousiasmante, incarnée par une troupe prestigieuse (l’énergie et la sensibilité vive de Jodie, le magnétisme discret et l’intensité rentrée un peu étrange de Matthew, le flegme de Tom, le scepticisme de James, l’espièglerie de John, …) et prenant la forme d’un conte qui replace l'homme et la vie au sein du vaste univers comme un véritable miracle, la recherche perpétuelle du contact entre les êtres comme la quête la plus essentielle, et l'émotion au sein du flot perpétuel des signaux comme le plus beaux des langages.

Omael
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le 15 juil. 2015

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