Il est toujours difficile de raconter un film de Bertrand Blier. Pour Convoi Exceptionnel, comédie noire et absurde comme à son l'habitude, il en dit lui-même que : « C'est un bordel, on sait pas ce qu'on raconte. Il se passe des choses qui n'ont ni queue ni tête avec des personnages improbables dont on ne sait pas s'ils sont vivants ou morts. »
Alors, oui. Effectivement. C'est le bordel. L'intrigue, les personnages, les dialogues, tout part dans tous les sens. On pourrait bien tenter de le décrire comme une sorte de « buddy mais pas trop movie », ou comme un road movie mais sans voiture, sans destination et sans route. On avance, on se déplace, on rencontre, on croise, on recroise, on s'arrête, on discute, on écoute, on repart.
Après un générique digne d'un film d'espions des années 60, on trébuche en plein dans le film, sans ménagement. Au beau milieu des embouteillages et sur fond de klaxons, tout de suite Foster trouve Taupin traînant un caddie vide, comme sa vie (c'est lui qui nous le dit). Foster a un scénario. Tout le monde en a un. Ah non, pas Taupin, lui vit « en impro ». Ensemble, ils doivent tuer un homme. Pourquoi ? Parce que quelqu'un l'a écrit. Qui ? Un mystérieux groupe de scénaristes corporate à twingos rouges qui livre des pages à travers la ville. Tout ne se passe pas vraiment comme prévu (évidemment), mais tant pis, on continue. Plus tard, une nouvelle scène tombe, écrite à la dernière minute, on doit maintenant attendre devant une boulangerie un événement bouleversant. Jusqu'à ce que quelqu'un apporte la prochaine scène. S'entame alors toute une série de micro-intrigues, de digressions, d'anecdotes. Un foutoir fait d'humour désinvolte, de nostalgie et d'étrangeté, le tout évidemment ponctué de deux ou trois meurtres - c'est un film de Bertrand Blier tout de même.
Véritable film de dialogues, sans surprise, l'écriture de l'homme aux 3 Césars du meilleur scénario est impeccable et les comédiens lui font honneur. D'un humour cru à une émotion qui l'est tout autant, on change souvent subitement de registre, d'un tac au tac vaudevillesque nous voilà maintenant plongés dans une tirade profondément dramatique. Tout va vite, puis d'un coup tout est calme. Cela donne au film un rythme tout particulier qui parvient à conserver notre attention et notre intérêt face à un récit qui va dans tous les sens et nulle part en même temps. Les nombreux monologues inopinés des différents personnages qui jalonnent le film parviennent à créer de l'émotion mais aussi à faire naître une réflexion au milieu des rires. Les apparitions de Farida Rahouadj en particulier, personnage sans nom cherchant désespérement un scénario pour entrer dans l'histoire sont profondément touchantes.
Mais les basculements de registres ne se font pas qu'à l'écrit. D'une scène à l'autre, on se retrouve comme soudainement téléporté dans un film français de la vieille époque, celle de Blier père. D'une comédie contemporaine on passe à des séquences classiques aux plans plus travaillés et à la photographie soignée.
Blier prend d'ailleurs soin de rendre hommage aux Quais des Orfèvres de Clouzot dans lequel joua son père.
Car évidemment avec une histoire pareille, les hommages et les réflexions sur le cinéma sont omniprésents. On prend par exemple le temps de s'arrêter pour écouter un producteur malchanceux qui a échoué dans le cinéma, qui n'y est pas arrivé, qui s'est fait « sifflé, hué à Cannes. » Ou bien cette grandiose scène hors du temps où Alexandra Lamy nous apparaît en véritable incarnation de la star Hollywoodienne ; incroyable monologue dans lequel on apprend d'ailleurs la mort d'un personnage qu'on croyait vivant. Mais « On ne meurt jamais au cinéma. Mastroianni ne sera jamais mort » nous a dit Clavier quelques scènes plus tôt, après la mort d'un personnage pourtant toujours en vie. On s'interroge alors sur cette mort (ou non-mort) du personnage, son parcours. On pointe du doigt comment une histoire de vie tragique, au cinéma, devient magnifique. On débat sur comment finir un film, en n'hésitant d'ailleurs pas à interpeller le spectateur. Blier s'amuse également de certaines ficelles scénaristiques ; par exemple les deux personnages que tout oppose et ne s'appréciant guère, forcé à être ensemble et qui finiront surement bien par devenir copains d'ici la fin. Ou encore l'amour comme solution à l'histoire, comme réponse au vide de la vie (ou dans le cas présent, au vide du caddie de Taupin). Pour cette dernière on ne sait pas bien si c'est ce qu'il pense ou s'il pointe du doigt cette réponse toute faite et passe-partout qu'un certain cinéma aurait tendance à donner. On réfléchit alors sur le rôle du cinéma en général et sur les scénaristes et leurs motivaions ; ces «auteurs talentueux » là pour nous « éclairer.»
Car finalement dans Convoi Exceptionnel les personnages ne sont que les acteurs d'une vie qu'un autre a écrit pour eux. Blier se sert (je dirais presque évidemment) du film comme d'une comparaison filée entre la vie et le cinéma, une mise en abîme certes parfois peu subtile mais néanmoins efficace et sans énormes prétentions. On voit bien qu'il cherche plus à poser des questions qu'à donner des réponses. Le film se termine et au bout du compte, on a assisté à un vaste fouilli de réflexions sur la vie, la mort, le désir, le cinéma, la société éparpillées dans un ensemble tout de même cohérent, pertinent et appréciable, même si assez inégal.


Et puis le film se termine. Une deuxième fois. Dans un bizarre échange des rôles Foster/Taupin et sur une totale impro qui n'a rien à voir avec le reste – tout ça parce qu'il manquait dix minutes au film – glorieuses minutes où l'on débat sur le foie gras et où Gérard nous explique en détail et avec passion comment préparer un poulet « sans un pet d'huile ». C'est dans des scènes comme celle-ci que l'alchimie Depardieu-Clavier nous saute à la figure. On sent qu'ils se sont bien amusés mais cela n'a pas beaucoup à voir avec l'histoire. On se dit alors qu'au final tout ça c'était peut-être quand même un peu n'importe quoi.
MadamePersonne
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le 10 avr. 2019

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