L'histoire vraie qui a ému le Brésil. Tel était le slogan matraqué dans la bande-annonce que j'ai vue je ne sais combien de fois ces dernières semaines. Avec D'une famille à l'autre, Anna Muylaert s'attaque en effet à un "petit" fait divers datant de 2012. Celui d'un enfant retrouvé 16 ans après son enlèvement à la maternité. Ce qui est génial c'est que la réalisatrice tente d'utiliser ce contexte comme une toile vierge propice à un travail exploratoire autour de plusieurs thématiques tournant autour de l'acceptation de soi et de la construction de son identité. Ce qui l'est beaucoup moins c'est qu'elle ne s'est pas vraiment donné les moyens de ses ambitions.


Je trouve qu'il y a un gros problème de dimensionnement qui empêche le film d'aller au fond des choses. Sa courte durée (1h20) n'est pourtant pas vraiment le problème intrinsèque. Le hasard de calendrier fait que j'ai vu ce film entre plusieurs épisodes du Décalogue de Kieślowski récemment re-sorti en salle obscure. Au-delà du fait que certaines thématiques rentrent légèrement en collision sur le fond , ce qui m'a frappé c'est qu'avec vingt minutes de moins (chaque moyen métrage durant une heure), le polonais parvenait toujours à mieux approfondir ses idées avec une excellente maitrise. Tout était pensé pour nourrir précisément son propos, alors qu'ici j'ai l'impression que Muylaert se disperse dans un académisme formel qui annihile pas mal la portée de ses "effets".


Pour nous immerger dans le récit, la réalisatrice place sa "loupe" presque trop près personnage de Felipe. Dans un sens, c'est un choix naturel vu qu'il est le sujet principal de l'histoire, mais d'un autre ça amoindrit les liens qu'il entretenait avec son "ancienne famille". Lorsque la mère d'adoption se fait arrêter au début du film, on ne sent pas réellement qu'il est arraché à sa vie d'antan. De même pour sa soeur, elle aussi enlevée à sa naissance, qui va rapidement partir dans sa famille biologique sans trop insister sur son départ. Nous n'aurons d'ailleurs plus aucune nouvelle des deux personnes dès lors qu'elles auront quitté sa route. Notre regard est davantage tourné vers l'adolescent explorant son identité de queer. D'ailleurs je dois avouer que ce sujet est plutôt bien amené, sans aucune lourdeur. Certainement le point le plus positif du film.


Un autre parti pris que je trouve intéressant c'est d'avoir utilisé la même actrice pour jouer les deux mères "adoptive" et biologique. Même si le passage éclair de la première amoindrit un peu l'effet global du miroir, on ressent tout même ce petit glissement entre l'angoisse de la perte de l'une et la convoitise de l'impossible de l'autre qui passe par d'habiles jeux de regards. Ce sera la seule et unique subtilité entourant la "vraie" famille de Felipe. À part ça, je trouve la mise en scène et l'écriture plutôt brouillonnes et grossières. J'aime bien l'intention de complexifier la situation en soulignant l'intolérance de sa famille qui veut le faire rentrer dans un moule, mais les oppositions qui en découlent sont amenées assez maladroitement. À l'image d'une scène de shopping durant laquelle les deux parents souhaitent acheter un ensemble habillé pour Filipe tandis que ce dernier souhaite davantage acquérir de nouvelles robes.


Pire, il y a certains passages qui n'apportent absolument rien au propos; comme celui du petit-frère qui se prend un râteau de la part d'une camarade de classe, qui elle même prend un autre râteau avec exactement les mêmes répliques. C'est tellement mécanique et artificiel que ça ne contribue aucunement à la caractérisation du personnage. C'est posé là, gratuitement. Dommage que ce soit loin d'être une exception. Et forcément, lorsque la fin très abrupte arrive, alors le film commence à peine à décoller, la frustration qui en ressort n'en est que plus renforcée.


D'une famille à l'autre est donc un essai en demi-teinte qui se perd un peu en cours de route. Tout n'est à jeter non plus, mais je regrette que ce manque de dosage émousse autant les intentions louables de la réalisatrice. Je suis d'ailleurs plutôt curieux de découvrir son film précédent traitant d'un thème similaire : Une seconde mère.

GigaHeartz
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le 25 juil. 2016

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