L’été : la saison préférée d’Anna Muylaert. Après Une seconde mère qui l’a fait connaître dans nos contrées en Juin 2015, voici un nouveau film estival, malheureusement affublé d’un titre français digne d’une telenovela : D’une Famille à l’autre (Le titre retenu pour l’exploitation internationale « Don’t Call me Son » est doublement plus subtil). Des films proches en apparence, cernant des problématiques socio-familiales au plus près, le premier s’appuyant sur l’étude du sort de cette domesticité pauvre, majoritairement issue de la région du Nordeste face à la grande bourgeoisie des grandes cités brésiliennes, et faisant le récit de Val (Regina Casé), une employée de maison qui remplit un rôle maternel abandonné par une mère biologique trop absorbée par sa carrière; le second, inspiré d’un tragique fait divers qui a secoué le Brésil, d’une femme qui a kidnappé trois enfants.


Ici, ce sont deux enfants qui ont été volés par Aracy (Daniela Nefussi), une mère aimante mais absente du foyer la plus grande partie de la journée, laissant ses deux enfants assez seuls et libres de leur mouvement, obligés de se prendre en charge de manière trop précoce.


Aidée de sa chef op argentine, Barbara Alvarez, la même qui était déjà derrière la caméra pour Une seconde Mère, Anna Muylaert livre cette fois-ci un film relativement court, saccadé, en réalité très différent du précédent tant dans la forme que sur le fond. La cinéaste attrape des bouts de vie du protagoniste Pierre (Naomi Nero), un adolescent en quête de lui-même qui voit le monde s’écrouler autour de lui lorsque, au bout de 17 ans, sa mère supposée adoptive se fait coffrer par la police pour l’avoir kidnappé à la maternité. Pierre doit faire à la fois l’apprentissage de sa nouvelle famille, des bourgeois aux antipodes sociaux de l’ancienne (le genre qui tique à la vue du vernis sur les ongles de Pierre qu’ils tentent de renommer Felipe, le prénom qu’ils ont choisi pour lui à sa naissance), le deuil douloureux de cette dernière (sa petite sœur Jaqueline, interprétée par la jeune Lais Dias, a également été enlevée par leur mère à d’autres parents à qui elle sera également remise), le tout dans le tumulte de la découverte de sa sexualité et de son genre.


Beaucoup de thèmes sont donc abordés par la cinéaste, des thèmes qu’on peut imaginer avant-gardistes, même pour un pays moderne comme le Brésil. Une des premières scènes du film montre Pierre dans un acte sexuel de dos, nu à part son porte-jarretelles et ses bas noirs… En 1 h 22, le seul parti pris tenable est d’effleurer ces sujets par petites touches. La sexualité est racontée au travers de scènes saccadées traduisant parfaitement la jeunesse du héros (boîtes de nuit, groupe de rock, …), tandis que la question du genre est traitée dans l’intimité d’une salle de bains, sauf lorsque Pierre décide de l’utiliser comme élément à part entière du dialogue avec ses nouveaux parents…


De même, quant à la nouvelle vie elle-même de Pierre/Felipe, Anna Muylaert ne s’attarde pas à la raconter de manière aussi linéaire que pour son précédent film. Au contraire, elle se focalise sur quelques moments-clés percutants, comme l’arrestation de la mère adoptive, La première rencontre particulièrement ratée avec la mère biologique, et d’autres scènes qui montrent l’impossibilité factuelle pour Pierre (et pour Jaqueline, dans une scène unique mais édifiante) d’adopter ces parfaits étrangers comme parents, quelle que soit leur bonne volonté. Sa mère restera Aracy, celle qui l’a élevée, et sa sœur restera Jaqueline…


D’ailleurs, le titre en portugais (Mãe só há uma) signifie : « il n’y a qu’une mère ». L’idée de génie de la cinéaste est d’appliquer littéralement ce titre en prenant Daniela Nefussi pour interpréter les deux mères, une idée malheureusement mal exploitée, tant elle est méconnaissable quand elle apparaît une deuxième fois en tant que Glória, la mère biologique (pour ceux qui ne sont pas familiers de son visage, y compris la plupart des brésiliens).


D’une Famille à l’autre est un film audacieux, introduisant pour la première fois dans le travail de cette cinéaste une dimension queer transversale. La lecture de l’œuvre peut se faire aussi bien à partir de ce point de vue que de celui de la famille, mais dans les deux cas, la vision converge vers la question de l’identité, de la construction et de la conscience de soi, et la scène centrale du métrage illustre parfaitement la relation causale entre ces deux approches (de la famille vers l’individu, et vice-versa). L’approche globale d’Anna Muylaert est originale et plutôt réussie, et il est dommageable que la très belle fin du film arrive de manière aussi abrupte, presque frustrante.

Bea_Dls
7
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le 22 juil. 2016

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Bea Dls

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