La principale qualité de cette adaptation du livre de Sylvain Tesson ne réside pas dans une fidélité pointilleuse au beau roman autobiographique de l'écrivain. Elle se revendique comme "libre", et à juste titre, puisque Safy Nebbou a cru bon d'introduire dans son scénario un personnage extérieur au livre, venant rompre la profonde solitude recherchée par le héros-narrateur dans un exil volontaire sur une rive désertique du Lac Baïkal. Était crainte, explique le réalisateur dans une interview, l'aridité d'une voix off commentant les actions d'un héros solitaire. On peut toutefois se demander si le film n'aurait alors pas gagné en intériorité et en intensité ; en effet, la rencontre greffée avec un assassin en fuite, si elle comporte quelques moments de grâce et d'humanité permis par la qualité de l'acteur Evgeniy Sidikhin et la métamorphose progressive de son visage, n'en repose pas moins sur des étapes relativement prévisibles et donc décevantes.


Autre déception, l'interprétation de Raphaël Personnaz, que l'on avait connu brillant en Marius plein de fougue et de naïveté, dans l'émouvante réinterprétation de la trilogie marseillaise effectuée par Daniel Auteuil en 2013, ou subtilement ambigu dans "La Princesse de Montpensier", en 2010, sous la direction de Bertrand Tavernier. Ici, le joli acteur au visage de chat ne parvient pas à se faire totalement convainquant en écrivain suffisamment tourmenté pour avoir choisi un exil aussi radical. Il s'acquitte honorablement de son rôle, notamment lorsqu'il s'agit de tourner son personnage en dérision ou de le montrer dépassé et menacé par les éléments, mais l'expressivité de son visage rencontre ses limites lorsqu'il est question de restituer son admiration, voire son ravissement devant les paysages somptueux dans lesquels il a choisi de s'immerger.


Restent, précisément, la stupéfiante beauté de ces paysages encore vierges, ces vues du lac gelé qui en perd son horizontalité, tant son relief devient lui-même comme montagneux, à force de glaces tourmentées et basculées en tous sens. On retrouve par moments l'un des tableaux de Caspar David Friedrich, que l'on aurait cru pur produit de l'imaginaire romantique, et qui s'incarne soudainement sous nos yeux, tout de glaces miroitantes et de saillies bleutées. Les vues aériennes, survolées par la trompette extatique d'Ibrahim Maalouf, nous laissent le souffle coupé, tout autant que les violentes tempêtes de neige qui se donnent à voir. Et l'on entendra longtemps, dans nos nuits, ces grondements sourds de la glace en travail qui grogne et gémit comme un ours.


Safy Nebbou réussit donc ici le tour de force de faire entrer la nature au casting, comme personnage à part entière, nous happant dans une contemplation ravie ou nous amenant à suivre ses émois avec fascination. Grâce à cette part de succès dans son entreprise, on sort de la salle comme enivré, convaincu que ce film valait réellement le voyage.

AnneSchneider
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le 17 juil. 2016

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Anne Schneider

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