Darlin'
5.2
Darlin'

Film de Pollyanna McIntosh (2019)

Malgré son décès en janvier 2018, l'esprit de l'écrivain Jack Ketchum continue de planer avec "Darlin'", un prolongement cinématographique inédit de sa saga littéraire initiée par "Off Season". Si ce premier tome n'a bizarrement jamais connu d'adaptation (en s'inspirant du même fait divers, "La Colline a des Yeux" de Wes Craven peut être vu comme ce qui s'en rapproche le plus), c'est le deuxième volet "Offspring" qui a donné un premier portage sur écran éponyme en 2009. DTV très oubliable par son manque cruel d'ambitions, cette adaptation nous avait néanmoins permis de faire connaissance avec "La Femme" déjà incarnée par Pollyanna McKintosh et qui allait être amenée à devenir la survivante d'une tribu de barbares cannibales au coeur des événements de ce long-métrage. Il faudra attendre 2011 pour que Jack Ketchum trouve enfin l'homme providentiel capable de rendre justice à ses livres, Lucky McKee. Remarqué pour "May" mais rencontrant des difficultés à confirmer les espoirs placés en lui dans de nouveaux projets, McKee va s'associer directement à l'écrivain pour rédiger à quatre mains le scénario de "The Woman" et ensuite réaliser ce qui deviendra à la fois le coup de maître de sa filmographie et incontestablement la meilleure adaptation cinématographique d'un roman de Ketchum.
"The Woman" nous replaçait donc directement aux côtés de La Femme à la sauvagerie intacte et errant désormais sans but dans une forêt nord-américaine. Remarquée par un père de famille en train de chasser, elle allait devenir la prisonnière de ce dernier obnubilé par le fait de parvenir à la "civiliser". À partir de ce pitch hallucinant, Lucky McKee dressait un portrait glaçant de la famille américaine dite traditionnelle car, au-delà des apparences entretenues par le père vis-à-vis de la société extérieure, c'était bien chez elle et non chez la Femme que résidait la pire définition de la sauvagerie par la représentation de ses figures masculines. Profondément malsain mais aussi éminemment poétique que féministe, "The Woman" faisait exploser dans un déferlement final de violence la domination patriacarle exercée par ce père et ce fils (mais aussi par la mère à cause de son aveuglement volontaire) en libérant La Femme du joug de ses oppresseurs masculins et en la mettant à son tour à la tête d'une nouvelle famille matriarcale avec l'aînée Peggy, la cadette Darlin' et "l'enfant-chien" Socket ainsi libérés de leurs chaînes de victimes permanentes.
Totale réussite par son approche jusqu'au-boutiste et la force de son propos, "The Woman" était également emmené par un casting impressionnant composé d'Angela Bettis, Sean Bridgers, Lauren Ashley Carter et, bien évidemment, Pollyanna McKintosh qui y livrait là ce qui resterait sans doute la prestation de sa vie d'actrice.
Huit ans plus tard, c'est donc presque en toute logique que McKintosh ressuscite ce rôle emblématique pour faire ses premiers pas en tant que metteuse en scène. Si les noms de McKee et Ketchum apparaissent en tant que producteurs de "Darlin'" (le film est dédié à la mémoire du deuxième), l'actrice a choisi de poursuivre seule les aventures de La Femme en cumulant les casquettes de réalisatrice/scénariste/interprète, on pourrait d'ailleurs y voir un savoureux parallèle teinté d'ironie avec la prise de pouvoir total de son personnage lors de sa dernière apparition dans le film de McKee...


En attendant d'avoir quelques flashbacks sur ce qu'il s'est passé entre les deux films, on retrouve ici La Femme quelques années après "The Woman" accompagnée seulement de Darlin'. Pour une raison encore inconnue, La Femme choisit de confier la jeune fille aujourd'hui aussi revenue à l'état sauvage à un hôpital. Seulement, après quelques examens, Darlin' est rapidement transférée dans un orphelinat catholique chargé de la resociabiliser. En effet, comme son établissement est menacé de fermeture, l'évêque dirigeant les lieux voit chez Darlin' une opportunité parfaite d'attirer le feu des projecteurs sur les bienfaits prodigués par lui et le personnel religieux à leurs petites protégées. Pendant ce temps, désemparée par la disparition de Darlin' de l'hôpital qu'elle ne quittait pourtant pas des yeux, La Femme décide de partir à sa recherche...


Passer après un long-métrage aussi impactant que "The Woman" pour en proposer un nouveau prolongement original encourait forcément le risque de ne jamais parvenir à se débarrasser totalement de l'ombre du film de Lucky McKee et, si Pollyanna McKintosh se défend plutôt bien pour ses débuts derrière la caméra, la bonne tenue globale de "Darlin'" ne suffit hélas pas à faire oublier le manque d'arguments inédits pour tenter de rivaliser avec son prédécesseur.


Tout comme la capture de La Femme dans "The Woman" avait permis de mettre en lumière la perversion d'un modèle apparent de famille américaine, l'éducation de Darlin' dans cet orphelinat va avoir pour but de montrer celle gangrènant les institutions cléricales. Ici, le mal incarné par l'évêque à l'intérieur des murs de son établissement va se servir du masque d'une forme de sérénité religieuse pour se nourrir et continuer à proliférer sous les écrans-radars de la société. Dans un premier temps, ses actes se réduiront à quelques manipulations dans la seule optique de sauver l'orphelinat (et sa place a fortiori) mais "Darlin'" va peu à peu dessiner une tension malsaine autour des véritables raisons qui le poussent à agir ainsi. Bon, vu l'addition "évêque + jeunes filles" et l'insistance avec laquelle McIntosh filme une pièce rouge où l'homme reçoit ses pupilles en privé, le mystère autour des agissements de ce prédateur n'en sera jamais vraiment un mais l'essentiel sera surtout de s'attacher au regard de Darlin' passant d'un état animal à une forme dite civilisée où l'endoctrinement religieux qu'elle subit et qu'elle réinterpréte à la lumière de son parcours ne peut déboucher que sur une "guérison" éphémère car continuellement pervertie par une figure masculine prêt à tout pour satisfaire ses plus bas instincts.
Loin de l'environnement claustro de violence permanente de "The Woman", Darlin' est ici captive d'un environnement religieux maintenant une illusion d'un système d'éducation productif mais qui, au-delà de ce vernis (symbolisé par les premières apparitions des jumelles, sortes de prototypes de perfection aux esprits uniformément modelés), ne cesse de se craqueler face aux non-dits (la religieuse en plein doute par exemple).
Si la religion est utilisée pour tenter de la rendre "normale", c'est en réalité au contact des autres orphelines que Darlin' grandit réellement, notamment avec la plus rebelle du lot et in fine avec toutes les autres, les enseignements qu'elle recevra ne seront que des mirages amenés à s'évanouir tôt ou tard devant la triste réalité.
À travers son héroïne perdue entre deux âges, Pollyanna McKintosh réussit d'incontestables jolis moments avec une vision féminine plus posée que McKee et traduisant toujours mieux les doutes et les progrès de Darlin' face au meilleur (sa relation touchante avec un infirmier) comme au pire de l'humanité. Même si sa prestation est loin d'être aussi marquante que McKintosh dans "The Woman", Lauryn Canny fait figure de petite révélation dans un rôle-titre finalement encore plus complexe que sa "mère" de cinéma (le retour à l'état sauvage de Darlin' n'était qu'un interlude entre deux étapes de civilisation). Bref, Pollyanna McKintosh réussit véritablement à donner une âme à son héroïne et à son parcours qui vont devenir les points forts de son premier long-métrage...


Seulement, tout le propos qui découle de "Darlin'" le condamne presque de fait à n'être qu'un "The Woman" bis. Hormis le fait de changer de décors et de s'attaquer à une autre forme d'institution érigée comme un modèle de civilisation, la progression attendue du film l'enferme dans une forme de répétition du précédent volet. Ainsi, les dernières minutes provoquant une nouvelle explosion de violence inéluctable et un épilogue connu donnent le sentiment d'une boucle capable de se répéter à l'infini. De même, le point de vue de La Femme dans cette histoire apportera certes quelques notes efficaces d'humour (la virée en voiture, haha !) mais il paraîtra souvent inutile ou, au mieux, un simple prétexte pour justifier quelques meurtres face caméra histoire de satisfaire les spectateurs venus là pour ça. Enfin, la rencontre de cette dernière avec un groupe de femmes marginales, représentation plutôt bien pensée d'une population féminine plus âgée et laissée sur le bas-côté par des hommes qui ne les considèrent plus, deviendra l'exemple parfait d'une bonne idée originale laissée complètement en jachère faute d'en exploiter le potentiel.


Malgré de belles intentions et une volonté d'apporter un autre regard à cette charge féministe dans la continuité de "The Woman", "Darlin'" ne pourra jamais prétendre aux sommets atteints par le film de McKee à cause de ses maladresses et d'une proposition qui, dans le fond, emprunte les mêmes chemins à quelques variations près. Cela dit, si Pollyanna McKintosh n'a pas soufflé sur les braises de l'oeuvre de Jack Ketchum jusqu'à en raviver un brasier, elle a au moins su en préserver leur incandescence, ce qui en soi est déjà une belle promesse pour l'avenir...

RedArrow
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le 16 août 2019

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