De la conquête est essentiellement un film de montage. D’abord un montage audio, constitué d’un agencement de multiples extraits de textes provenant de différents auteurs, sans qu’il soit possible de les attribuer individuellement, reflétant les différentes forces et positionnements lors de ce début de conquête de l’Algérie. Simultanément, un montage d’images récentes de l’Algérie, de l’Alger et du Paris, filmés en place du pouvoir colonial.


Le récit de la conquête nous restera partiel. Franssou Prenant filme la trace du joug colonial français par l’absence. Nous comprenons les événements de la conquête sans la voir ; nous imaginons ses morts en voyant ces vivants ; nous constatons la colonisation en constatant son apparente dissolution dans le monde moderne. De la conquête ne cherche pas à offrir une vision exhaustive ou explicative de la conquête de l’Algérie. Le film est composé par traces, par touches, par vides. Vides comblés par le spectateur qui, par son imaginaire et grâce aux voix monotones qui l’accompagnent, crée ou du moins altère les images projetées, par des images fantômes de sa confection.


Mais par moments, des liens se dessinent sous nos yeux entre le son et l’image, entre ces deux époques. Le film débute sur l’arrivée des colons français en 1830. À l’image déboule un paquebot envahissant tout le cadre sous plusieurs angles, recouvrant la ville d’Alger de par son immensité avant d’accoster pour s’y établir. Les traces de l’imposition des savoirs occidentaux, d’un début d’épistémicide, nous apparaissent. Nous y verrons des voitures Renault, des cartes postales à l’effigie des fiertés des conquérants comme la Tour Eiffel et la Joconde, des noms de rues français, mais aussi une topographie et une architecture d’Alger altérés par le passage des colons, ayant tordu la ville contre tout bon sens pour la calquer sur la ville occidentale ; Paris revenant hanter Alger. D’autres fois, en confrontation, nous entendrons des déclarations comme celle du colonel français Aimable Pélissier : “La peau de l’un des mes tambours avait plus de prix que la vie de tous ces misérables.”, pendant que ces mêmes misérables nous apparaissent, tout du moins leurs versions modernes.


En ne s’intéressant qu’à des documents relatifs au début de cette invasion, De la conquête vient toucher, par contrastes, collisions, et association visuelles et sonores, à la modernité algérienne marquée par les violences impérialistes d’hier, et celles plus insidieuses d’aujourd’hui. Par son aspect fragmenté, le film en extrait une essence : extrait de la guerre ; extrait de textes ; d’images brutes ; extrait de la vie algérienne et de sa colonisation qui nous ramène, par la singularité du cas étudié, par écho, aux autres formes de violence coloniale et aux cicatrices laissés par l’entreprise impérialiste.


Auteur : Léo Delourme

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le 11 déc. 2023

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