Frissons, frissons.


Il y a quelques jours de ça, je cherchais à tout prix à visionner un film qui traite intelligemment de sexe, d'amour, de jeunesse, de tourments, de désirs inavoués, et il fallait par dessus tout que ce film me touche, me touche vraiment. Je cherchais ce film, qui laisse sans voix une fois fini, et je l'ai trouvé avec Deep End. Avant le visionnage je ne connaissais rien de Skolimowski et de son travail, douce et agréable surprise donc.


Londres, tout début des années 70. Mike, un jeune homme timide et poli de 15 ans vient d'arrêter les cours et décroche par conséquent un job dans une piscine municipale de l'East End. Son boulot consiste à s'occuper des client(e)s : les installer dans des cabines, leur apporter le nécessaire pour se laver, et... bien plus encore. Oui, car ce jeune Mike que l'on a tous plus ou moins été (naïf, curieux, fragile, tantôt impétueux tantôt sur ses gardes), va voir s'ouvrir devant lui un univers qui se trouve à la frontière entre le malsain et l'excitant. Un univers dans lequel il va découvrir la nudité, la perversion, la frustration des uns, l'appétit sexuel des autres. En effet, car ce qu'il se passe dans les cabines de ces bains municipaux relève quasiment de la prostitution.


Et c'est au milieu de ce monde "d'adultes" que le coeur de Mike (tout comme le notre le temps du visionnage) va vaciller puis vriller pour sa collègue, Susan. Oh Susan, oui Susan. Une sulfureuse et délicieuse jeune femme à la chevelure de feu, ou devrais-je dire à la chevelure de sang. Et cette Susan a absolument tout d'une fille pour laquelle on ferait n'importe quoi, mais dont on sait que l'amour qui risquerait de grandir pour elle deviendrait inéluctablement destructeur : elle est cynique, rend volontairement jalouse, n'hésite pas à jouer la femme fatale, elle est libérée, couche sans scrupule avec le premier homme qui passe, ou du moins, celui qui sera le plus offrant, on sent qu'elle aime jouer avec les sentiments d'un peu tout le monde, bref, on la voit comme une jeune femme invulnérable face au monde, et tout ça, mon dieu que c'est charmant. C'est donc sans compter sur le jeu d'acteur et sur la beauté pénétrante de Jane Asher (Susan), que nous devenons Mike, que nous devenons amoureux.


Tantôt oppressés par les couleurs ternes d'un Londres qui nous dévore avec sa brutalité et sa marchandisation du sexe : la grisaille des rues, les lumières blafardes des bordels et des sex-shop, la neige; tantôt éblouis par les couleurs éclatantes à l'intérieur de la piscine : le rouge sang vif et agressif de la peinture sur le vert sapin rassurant des murs, le roux solaire d'une belle chevelure sur le jaune criard d'un imperméable, le rouge un peu moins vif du sang qui se disperse dans le bleu profond de l'eau.
C'est donc ensemble, avec Mike, que nous découvrons l'amour, et que nous adoptons son jeune regard qu'il a sur l'amour et le sexe.


Ce qui rend également ce film si singulier, c'est sa capacité à rendre le réel étrange. Certaines scènes sont tellement surréalistes, que l'on se réveille pendant une demi-seconde en se disant :"attends, quoi, c'est possible ça ? ça arrive vraiment ce genre de choses ?", mais rien à faire, on se rendort gentiment, on pénètre une fois de plus dans ce magnifique rêve éveillé, et on se laisse hypnotiser. Différents exemples me viennent à l'esprit : la scène où Mike rentre par inadvertance dans la chambre d'une prostituée, laquelle a une jambe cassée et se sert d'une ribambelle de cordes sur les lesquelles elle tire pour ouvrir/fermer la porte, activer/éteindre une platine vinyle, etc; la scène où des types finissent par se battre en pleine rue à cause d'une pancarte représentant une femme nue (femme ressemblant très fortement, trop fortement à Susan), la scène où Mike se retrouve en plein dans le métro au milieu de tout le monde avec cette même pancarte dans les bras, et bien sûr la scène où lui et Susan se tuent à retrouver un minuscule diamant perdu dans des monceaux de neige en plein milieu de la piscine vide. Surréaliste, bizarre, étrange même, mais magnifique. Mais le point d'orgue du film, c'est bien entendu la fin.


Le silence. Strictement aucun bruit. Des souffles, des soupirs et des gémissements qui ne sortent pas. Des caresses timides. Des regards perdus. On pourrait presque entendre le poil qui s'hérisse sur la peau des deux jeunes gens. Les plans sont si rapprochés des corps et des visages qu'on a la sincère impression qu'il n'y a plus que cette union qui existe. Encore une fois on vit pleinement ce que Mike vit et ressent : un ébat puissant, trop intense, qui rend d'office encore plus amoureux, et qui frustre dès la fin car trop rapide. Et puis l'eau qui monte, la lampe qui tangue, la bouilloire qui flotte, la lampe qui cogne, le sang qui coule et les corps qui lévitent au milieu de tout ça.


Deep End c'est l'adolescence, c'est la mélancolie qu'on a quand on pense a de belles filles qu'on a jamais connu, c'est la sensation d'un orgasme qu'on ne connait pas qui remonte, c'est des gémissements qu'on a retenu trop longtemps pour qu'ils puissent sortir convenablement, c'est la cruauté du monde qui mutile et meurtrie nos envies et nos désirs, ça commence par des regards qui s'échangent, ça continue par une trop forte urgence d'aimer et ça termine par deux corps enlacés dans une eau d'un bleu abyssal, tableau qui fige cet amour et le fera durer pour l'éternité.

Créée

le 26 févr. 2018

Critique lue 182 fois

Jules Vidal

Écrit par

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