Louison, garçon rêveur et bricoleur, est engagé comme homme à tout faire dans un immeuble d'une ville désertique et détruite par la guerre. Son employeur est un boucher aux méthodes de travail radicales, qui fait régner la terreur sur ses voisins et sur sa fille, Julie...

Une merveille de poésie et de drôlerie.
Dès le générique, véritable boîte à trésors et à idées, « Delicatessen » se présente comme un bric-à-brac allumé et monstrueux, comme un monde à part entière sorti des esprits tordus et inlassablement créatifs de Caro et de Jeunet.
Au cœur d'un univers extérieur d'apocalypse (l'environnement n'est plus que désolation et délabrement, et Louison répond à une annonce parue dans le journal : « Les temps Difficiles ») ,un artiste, clown sensible, va illuminer le quotidien d'un immeuble et y insuffler sa folie et son génie.
Un florilège de « gueules » incarnent une galerie de personnages inoubliables (les frères artisans, qui fabriquent avec patience des boîtes à « meuh », les troglodistes, l'homme aux escargots) ; ils s'affrontent, se croisent et donnent vie à des scènes extraordinaires, tel ce concert impromptu et saccadé, interprété par l'ensemble des locataires (à la manière d'un métronome, les ressorts d'un lit donnent le tempo au violoncelle de la jeune Julie, à la cadence de frappe d'un tapis, au rythme de la peinture au plafond, à la vitesse de tricotage de la grand-mère...jusqu'au « climax » !)
« Delicatessen » constitue une expérience de spectateur formidable, car l'on assiste à la confection, à la matérialisation d'un univers très personnel et d'un imaginaire très riche, qui apporte un soin particulier à la représentation des détails, des petites choses, des objets loufoques et uniques (l'incomparable « australien », l'irrésistible « détecteur de connerie », et le moulin à café-radio, entre autres prodiges). Le directeur de la photo, Darius Khondji, signe une image sépia de toute beauté, s'adaptant aussi bien aux ténèbres souterraines qu'à l'intimité d'une petite chambre sous les toits.
" Delicatessen" sait être hilarant, surprenant et hors normes, mais également très émouvant et d'une grande finesse. La scène du thé entre Julie et Louison est un enchantement : les prévenances de l'un répondent à la maladresse de l'autre, jusqu'à cet instant où le jeune homme souffle délicatement sur le coin de l'œil de la jeune femme qui s'est fait mal, et qui ferme les paupières, bouleversée par ce geste...il s'agit peut-être de l'un des moments les plus purs et les plus érotiques de l'histoire du cinéma.
Le film nous offre des séquences élaborées et mémorables (la « danse du sommier » entre le boucher et Mademoiselle Plusse, les tentatives de suicide ratées d'Aurore) qui témoignent à la fois d'un savoir-faire indéniable mais aussi d'un authentique abandon burlesque : Jeunet et Caro sont dotés d'une capacité d'invention fabuleuse, car totalement maîtrisée.

Une œuvre magnifique, qui laisse dans la tête une mélodie interprétée au violoncelle...et à la scie musicale.




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le 22 févr. 2011

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Frankoix

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