La fille qui ne savait pas dire non
Sous-titré "La vie sexuelle d’une chatte sauvage", ce film est une création du célèbre studio Nikkatsu qui, dès les années 1970, a produit de nombreux films érotiques en donnant leur chance à de jeunes réalisateurs prometteurs. Il raconte le périple d’une jeune provinciale qui quitte sa famille pour découvrir Tokyo et tombe dans tous les pièges que l’éternelle Babylone réserve aux oies blanches en pareille situation. Vieux thème romanesque de l’opposition entre la simple vertu rurale et les vices de la vie urbaine – l’archétype du "Paysan et la Paysanne Pervertis" de Restif de la Bretonne.
La jeune héroïne débarque dans la mégapole avec ses habits du dimanche, un chapeau fantaisiste et des nattes amidonnées qui semblent défier les lois de la gravité. Naïve, elle prend tous les risques et fonce tête baissée dans tous les traquenards. Elle s’amourache d’un petit truand persécuté par des yakuzas pour une sombre affaire de dettes, il l’héberge, la consomme et la met sur le trottoir (ou plus exactement dans un salon de massage, ce qui revient à peu près au même), voyant dans cette bonne affaire un moyen de se faire entretenir. Mais le bon-à-rien est plus sensible qu’il n’y paraît et il finit par tomber follement amoureux de cette fille qu’il a exploitée. Seulement, cette dernière est déjà passée à autre chose, travaille pour d’autres patrons, fréquente un yakuza mélomane et s’est fait tatouer le nom de celui-ci sur son bras – ce qui, du coup, l’a rendue impropre à la consommation marchande (car “marquée”) et l’a mise hors circuit. La dernière partie du film raconte les tentatives que le voyou amoureux met en œuvre pour la récupérer, et qui aboutissent à une fin en queue-de-poisson telle que j’en ai rarement vue au cinéma et sur laquelle je ne dirai rien de plus, pour ne pas déflorer l’œuvre.
"Delinquent Girl" est un film érotique – c’est-à-dire que les durant les scènes à caractère sexuel, les zones de l’écran les plus explicites sont pudiquement et artisanalement cachées par un doigt posé sur l’objectif de la caméra – mais ce n’est pas que cela. C’est un drame social aux apparences légères, d’autant plus légères que la jeune provinciale semble rétive à toutes les tentatives de Tokyo pour la traumatiser, elle vit l’exploitation et le viol comme des passages obligés sans grande conséquence, elle ignore la révolte comme elle semble ignorer la douleur. Elle est celle qui dit toujours oui, en haussant les épaules, aux choses les plus intolérables, comme si son corps ne lui appartenait pas vraiment et que son sort lui était indifférent. Le tout sur un air entêtant de flûte de pan.