Critique rédigée en mai 2020


Quatre amis citadins décident de partir pour un week-end d'aventures dans un espace naturel reculé au sein des Appalaches. Tels les trappeurs de jadis, ils prévoient de descendre en canoë la rivière sauvage, en voie de disparition afin de laisser place à un barrage favorable à l'apport d'électricité. Or, cette expédition mise en place par Lewis (Burt Reynolds), le leader du groupe à la flèche bien aiguisée, marque à sa façon la fin d'une époque de voyage authentique américaine de ce siècle, rapidement saccagée par un duo de violeurs et les aléas naturels qui les prennent en chasse...


Loin des écrits rousseauistes faisant l'éloge de l'harmonie entre l'Homme et la Nature, John Boorman restitue une violence originelle empruntée dans cette relation. Délivrance parle de tout ceci, par le biais d'une vision métaphorique très puissante du rapport des Américains avec leur propre territoire et son histoire alors en 1972. Le script se réfère très explicitement à l'expédition de Meriwether Lewis du début du XIXe siècle, s'inscrivant dans le mythe de l'histoire nord-américaine.
L'ouverture articule plans de rivière et des bulldozers de chantier les remplaçant, au profit d'une vive opposition entre la nature sauvage et la vie urbaine.


Les mouvements des deux violeurs, amorçant une tragique continuité scénaristique, ne sont par ailleurs pas sans rappeler l'articulation des machines issues de cette séquence.


En promettant ainsi à ses trois compagnons de les ramener chez eux en temps et en heure pour leur match hebdomadaire, Lewis met ainsi la puce à l'oreille au spectateur assidu, en perspective d'une promesse qui ne saura être tenue comme telle qu'elle était prévue à l'origine.
Dans l'absolu il s'agit d'une sorte de voyage exotique où l'Homme affronte les lois naturelles tout en croisant le fer avec les gens de sa propre nature. Intrépides Lewis, Ed (Jon Voight), Andrew (Ronny Cox) et Bobby (Ned Beatty) n'idéalisent pas la nature à cause de leur connaissance substantielle, ressentie au jour le jour. Par exemple, ce qui se passe lors du fameux Dueling Banjos, désigne bien à sa façon le coeur vibrant du métrage, est aussi celui dans lequel les événements s'avèrent les plus décisifs. Grâce à l'affrontement du banjo (le jeune au visage qui semble vieillit par son milieu social) contre la guitare du citadin, un esprit de communauté (jusqu'ici semblant déchu) renaît par le biais de la musique.
Se forme par la suite une forme d'inquiétude existentielle suscitée par l'espace naturel, sujet central du film, que la mise en scène cherche à traiter et à communiquer au spectateur. La nature gagne les quatre hommes au fur et à mesure de leur émergence, percevable comme étant un présage négatif: la nature est en voie de les avaler, s'emparer d'eux, les anéantir intérieurement.


Délivrance est un puissant thriller, de sauvagerie et de canoë rythmé par ses entêtants airs de guitare-banjo dont la disparition progressive intensifie la violence grandissante de la nature. Ils ne servent non plus la musique, mais à battre une mesure imaginaire, se balançant sur un métronome mystique amorçant la suite de l'aventure.

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