La vie... un long fleuve tranquille ?

Présenté à bien des égards comme un incontournable du survival, Délivrance s'affirme malgré les décennies qui passent comme un long-métrage d'une humilité efficace tout en étant traversé par des fulgurances de violence pour le moins inattendues. En mettant en scène un groupe de quadragénaires étasuniens de la classe moyenne souhaitant descendre en canoë une rivière sauvage destinée à être sacrifiée sur l'autel de l'aménagement urbain des hommes, c'est à une véritable communion avec la nature dans tout ce qu'elle a de plus dichotomique (à la fois éclatante et secrète, voire inquiétante) que nous invite Boorman. Loin de tout artifice de mise en scène et d'abus d'effets spéciaux, Délivrance renoue avec une certaine authenticité de la réalisation par le biais de décors naturels et de cascades effectuées par les acteurs eux-mêmes, chose plutôt rare à l'heure actuelle.


Néanmoins, il s'agit d'aborder également d'autres niveaux de lecture si l'on veut dévoiler la richesse thématique de ce film. Finalement, le côté survival n'annexe pas la totalité du film, loin s'en faut. En effet, hormis une ou deux scènes véritablement traumatisantes de par la rupture de ton qu'elles viennent opérer par rapport au reste du récit, c'est davantage à une mise en perspective de la condition humaine dans son environnement originel, mais qui lui semble paradoxalement inconnu, auquel le spectateur est confronté. Quatre citadins bien rangés (avec femme et enfant(s)) venant vivre l'aventure et revitaliser, parfois à leur insu, une virilité affectée par un mode de vie éloigné de tout danger et prise de risque (en cela, le personnage interprété par Burt Reynolds révèle cette idée de masculinité à revigorer) : effectivement, John Boorman dépeint le portrait d'individus démunis dans leur milieu géographique d'origine (la nature) mais qui doivent se réadapter afin de survivre (instinct naturel) dans cet environnement qui ne s'avère finalement majestueux qu'en surface.


Face à des autochtones agressifs constituant le miroir déformant de la conception humaine des quatre héros, ces derniers voient leur code moral bousculé par une situation les poussant à une radicalité dans les actes. D'ailleurs, les corps qu'ils coulent dans la rivière promise à disparaître, au profit de nouvelles infrastructures, est révélateur d'une humanité qui tente de masquer tant bien que mal sa nature conflictuelle, transgressive et violente dans un cadre sociétal urbain et régi par le droit. Ses fondements (symbolisés par cet enfouissement des corps), par ailleurs branlants, pourraient conduire de nouveau à l'expression de cette nature véritablement humaine que l'Homme lui-même tente de tempérer dans une société qu'il qualifie de "civilisée". Ainsi, à la fois réflexif et humble, Délivrance constitue une pièce essentielle du genre.

Raphaël_Gach
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le 1 juin 2015

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Raphaël Gach

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