Auréolé de l'Oscar du meilleur film étranger en 1976, Derzou Ouzala semble occuper une place clé dans la filmographie d'Akira Kurosawa ("semble", car je ne connais quasiment rien de lui, excepté Rashomon et ses autres films aux courbes insensées).
S'il ne fallait dire qu'une chose du film, c'est qu'il est simplement beau et simple. Pas besoin d'analyser chaque plan pour comprendre que Kurosawa dresse un portrait de la relation entretenue par l'Homme avec la nature. L'humain, c'est le capitaine ; la nature c'est Dersou. Les deux s'aident mutuellement, sans rien attendre en retour, dans une amitié et un respect irréprochables. L'un est soldat, l'autre chasseur : ce sont les deux faces de la Russie de l'époque, entre une aristocratie militaire et une minorité des territoires reculés du continent russe. Le film se déroule au début du XXe siècle, au moment où le gouvernement russe lance des expéditions pour établir des relevés topographiques des régions proches de la frontière chinoise (Arseniev est d'ailleurs en charge de cette tâche dans son détachement) : les soldats s'aventurent donc dans des territoires reculés, inhospitaliers et surtout immenses.
L'avoir vu dans une cinémathèque et donc sur grand écran aide, c'est sur, mais j'ai trouvé les plans somptueux de bout en bout. Pas d'intimisme mal placé, les hommes sont mis au niveau qui leur revient de droit face à la nature : acteurs mais surtout agis et spectateurs devant la grandeur insondable des paysages russes. Le film fait d'ailleurs parfois très peur, comme lorsque le capitaine et Dersou se rendent compte que leurs traces ont été effacées au beau milieu de landes gelées, presque au crépuscule. Cet aspect contemplatif impressionnant se retrouve à maintes reprises au cours des deux heures et demi du film. Les paysages s’enchaînent à merveille et font dire, à juste titre, au capitaine que l'homme n'est pas assez fort pour survivre et dompter cette immensité.
A ce sujet, il faut parler du personnage énigmatique s'il en est de Dersou. Il symbolise avant tout la nature dans son mystère : son apparition est en elle même fantastique, lorsqu'il surgit et apparaît des bois comme le ferait un esprit. Son pragmatisme pour survivre contraste étrangement avec sa fidélité pour les cultes de son peuple, ce qui causera d'ailleurs sa décadence par la suite. La dernière partie du film est assez cocasse sur ce point-ci : s'il semble nécessaire à Kurosawa de montrer comment s'exerce le contraste entre vie sauvage et vie citadine/civilisée, il fait perdre au film sa grandeur et son immensité interminable. Dersou perd de sa superbe et n'appartient plus à aucun des deux mondes.

Sinon, aucun rapport, ou presque, mais la scène avec le Chinois perdu, seul au milieu de la forêt depuis des années, m'a énormément perturbé par sa mélancolie silencieuse. C'est le genre de moments étranges et à la limite du métaphysique (tout comme l'exposition de la lune avec le soleil, ou les apparitions récurrentes des tigres, entre autres) qui font le charme des films de ce type réussis. Kurosawa ne se contente pas bêtement de faire une odyssée contemplative simplement "d'apparence" : on trouve du sens partout, ce qui fait qu'on en ressort chamboulé comme rarement on peut l'être après un film. Une merveille d'épopée et forcément un grand et beau film.

Et une sacrée bromance aussi.

Créée

le 19 oct. 2013

Critique lue 730 fois

5 j'aime

Pariston

Écrit par

Critique lue 730 fois

5

D'autres avis sur Dersou Ouzala

Dersou Ouzala
Kobayashhi
9

Oh Captain, My Captain !

Dersou Ouzala, c'est d'abord la renaissance du Phoenix Kurosawa qui après l'échec cuisant de Dodes'kaden a tenté de se suicider, fort heureusement, ce fut un échec. Il nous revient 5 ans après avec...

le 2 sept. 2013

89 j'aime

5

Dersou Ouzala
Sergent_Pepper
8

Taïga con dios.

[Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs : Ochazuke] Lorsqu’on jouit d’une filmographie aussi dense et prestigieuse que celle de Kurosawa, le défi pour se renouveler et poursuive son œuvre peut...

le 24 janv. 2015

88 j'aime

11

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8

Du même critique

La Vie d'Adèle - Chapitres 1 et 2
Pariston
3

La morte Adèle

Je pensais que La Vie d'Adèle me réconcilierait définitivement avec les Palmes d'Or des années 2010, afin de remonter une moyenne plus que basse de ce côté là. Le 7.7 de moyenne sur le site me...

le 5 oct. 2013

56 j'aime

11

Crime et Châtiment
Pariston
10

Chacun se montre tel qu'il est.

Que dire ? J'ai l'impression, justifiée, d'avoir passé des semaines à me plonger dans ce livre, à suivre la pénitence de Raskolnikov dans un Saint-Pétersbourg macabre et étrange. Ce que je redoutais...

le 24 déc. 2012

47 j'aime

2

La Dame de Fer
Pariston
2

La Dame de Fer, elle ne peut pas tout fer

Attendu comme l'évènement cinématographique de ce début d'année, LA DAME DE FER n'est rien d'autre qu'un gros pétard mouillé qui accable le biopic en général. La bande-annonce annonçait un point de...

le 14 févr. 2012

32 j'aime

4