Sur une route déserte, un fils dit à son père qu’il aimerait être un perroquet. C’est alors qu’un corbeau parlant, qui s’avère être un intellectuel de gauche, apparaît et décide de les accompagner sur un bout de chemin. Ils discutent avec lui presque sans surprise, comme s’il était un compagnon de route comme un autre.

Avant d’évoquer ses qualités, précisons que le film souffre de quelques légers défauts comme les personnages joués par Ninetto Davoli qui prennent une place énorme dans le récit et qui me sont personnellement particulièrement insupportables tant ils souffrent d’idiotie. Il est aussi regrettable que le corbeau ne bouge pas le bec lorsqu’il s’exprime, qu’il donne parfois l’impression d’être forcé à suivre les acteurs, que ses mouvements ne soient pas toujours fluides et rompent parfois ma crédulité face à ce récit. Voilà, c’est fait. Pourtant, plutôt que de tirer vers le bas le métrage, je trouve que ces quelques problèmes renforcent en fait sa qualité globale ! Ces petites maladresses, ces aspérités donnent en fait un certain cachet au film, un aspect artisanal, un côté humain très touchant.

Des Oiseaux, Petits et Gros a quelque chose de baroque en lui, il se construit sur une dualité entre le grotesque et le sublime, la pauvreté et la richesse, ou encore les oiseaux, qu’ils soient petits ou gros. L’introduction du film est un plan de la Lune dans un ciel gris nuageux et un générique chanté. La musique place tout de suite le film dans un registre comique, tandis que la Lune nous révèle déjà le fantastique, le surnaturel, le mystique, ou au moins les problématiques célestes qui dépassent nos deux personnages principaux. Certaines séquences sont purement sublimes, comme la scène d’évangélisation des faucons, ou ce plan déchirant où un homme miséreux exproprié par Totò mange un nid d’hirondelle, les yeux dans le vide. D’autres éléments tirent par contre vers le grotesque : la marche de Totò qui souffre des pieds et qui n’est pas sans rappeler celle de Charlot, les effets parfois purement burlesques où l’on accélère la cadence des images, ou encore le père Cicillio (joué également par Totò) qui demande pardon à Dieu avant de ravager une fête.

Le film, bien qu’ayant une courte durée de quatre-vingt dix minutes, arrive à avoir une richesse narrative et thématique impressionnante. Par le biais de la route que suivent Totò et Ninetto, le spectateur est amené à croiser différents individus aux problématiques variées : des personnes en deuil qui font preuve de voyeurisme face à la mort d’un couple, une jeunesse insouciante twistant sur un morceau de surf-music composé par Ennio Morricone, des propriétaires fermiers armés de fusils qui chassent quiconque pénètre leur champ, une famille miséreuse qui n’a plus qu’un toit comme dernière richesse et qui doit pourtant de l’argent à un Totò sans empathie, un nouveau-né au sein d’un groupe d’acteurs extravagants en Cadillac, l'intelligentsia des “dentistes dantesques”, ce bourgeois à qui Totò doit désormais de l’argent, une prostituée charmante qui s’acoquine tantôt avec le père tantôt avec le fils… Pasolini filme des vrais gens, des vrais visages, des vraies gueules ! Il se sert d’un acteur jugé comme un des “monstres sacrés” du cinéma italien, et le fait cohabiter avec des acteurs amateurs, ce qui offre une tonalité singulière au film. Il va jusqu’à utiliser ce qui me semble être des images purement documentaires et les confronte par le biais du montage aux visages fixes de ses acteurs. Mais malgré sa volonté de représenter le réel, le fantastique apparaît avec le professeur corbeau qui parle avec une voix réverbérée qui crée une distance avec la diégèse. Sa voix, comme son existence, est un élément surnaturel.

Cette fresque sert à Pasolini pour traiter avec simplicité de sujets lourds, qu’ils soient philosophiques, religieux ou politiques. L'aparté raconté par le corbeau qui présente l’an 1200, n’est pas sans rappeler l'Évangile selon Saint-Matthieu (1964), et fait de Saint-François d'Aquin l’un des premiers marxistes de l’Histoire. Ce père Cicillio qui doit évangéliser les oiseaux offre une mise-en-scène de la généalogie de la morale nietzschéenne. Bien qu’après leur évangélisation, ils partagent le même amour de Dieu, les faucons, les forts, ne partagent pas la même morale que les passereaux, les faibles, ils ne parlent même pas le même langage non plus puisque les faucons demandent au père Cicillio de chanter et les moineaux attendent des moines qu’ils dansent. Les forts continuent pourtant toujours d’attaquer les faibles. L’une des plus belles images du film est ce corbeau marxiste posé sur un panneau de propriété privée, symboliquement un oiseau de malheur sur l’idée de propriété à laquelle s’oppose le communisme. Mais hélas pour le corbeau, le film se finit par une morale pessimiste terrible ; Totò et Ninetto attrapent ce compagnon de route surnaturel, pourtant doué d’une intelligence si hors-norme qu’il se faisait appeler Professeur, et le dévorent, n’ayant rien appris de ses enseignements.

06/08/2023

Don-Droogie
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le 9 août 2023

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