Dogman
5.8
Dogman

Film de Luc Besson (2023)

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Bon bah voilà, on y est, un an et trois mois après le désastre Arthur maladie ô fion, je vous reparle de la coqueluche du cinéma français : Luc Besson ; et d’autant plus qu’ici on va parler de sa nouvelle réalisation et non production. Je ne vais pas refaire le tableau concernant mon appréciation du bonhomme, il en reste que le visionnage de Dogman couvrait un mélange d’attentes et d’incertitudes. Attentes car le synopsis pouvait offrir un retour intéressant pour un projet moins imposant et plus personnel ; incertitudes, car après la catastrophe citée plus haut, je n’étais clairement pas serin à l’idée de me reconfronter à une production Europacorp. Entre temps, le marché du film de Berlin laissait se multiplier des bruits de couloir annonçant « le film de la maturité », laissant le distributeur repousser le film (d’Avril à Septembre) pour tenter de passer dans quelques festoches. Ils n’y manqueront pas, et le film sera notamment casé en compétition officielle à la mostra de venise, où les premiers avis allaient du film le plus stupide de l’année à un retour en grande forme et très émouvant. En tout cas, une place qui fit lourdement polémique à la manière des nouveaux Woody Allen et surtout de Roman Polansky, car les années passent mais le ressentiment qu’a une grande partie du public pour ces artistes ne décrémente pas, loin s’en faut, entre accusation de violences sexuelles et indignation face aux festivals donnant « plus de parole et d’espace aux bourreaux qu’aux victimes » (cf : pas les victimes). Qu’ils soient coupables ou suivis d’un non-lieu, je dois avouer être fatigué par ces polémiques, qui, si elles ne doivent pas être ignorées, ne devraient selon moi pas à ce point infester le débat public ; d’autant plus quand il s’agit de parler de film et d’art. Alors me voilà, à faire ce choix hautement polémique, parler de Dogman en tant que film, parler de ses réussites et échecs esthétiques, et ainsi voir si, plutôt que de dissocier l’homme de l’artiste, on peut dissocier l’œuvre des polémiques.

A force de parler des à-côtés, je n’ai toujours pas dit de quoi aller parler le film du jour, et je n’irai pas plus loin que le synopsis promettant de conter l’histoire de Douglas, troublé par un père un tantinet brutal, passant une partie de son enfance avec les chiens de ce dernier, développant jusqu’à l’âge adulte une fascination et amour pour ces toutous. Très vite, Dogman a été comparé à un sous-Joker, et c’est un point que je souhaiterai corriger pour amorcer sur le ton et l’écriture du film, étant en profond désaccord avec cette comparaison. Honnêtement, le seul rapport que je vois entre ces deux œuvres, est d’axer le point de vue du récit sur un anti-héros, et c’est tout. Là où Joker proposait une descente aux enfers provoquée par la maladie mentale de son protagoniste, Dogman fait strictement l’inverse, en présentant un personnage dont le principal but est une rédemption avec lui-même, étant plus ambiguë par rapport à ses moyens et fins qu’Arthur Fleck devenait détestable et antipathique au fur et à mesure qu’il repoussait le point de non-retour. En réalité le film a bien plus l’air du drame intime que du thriller policier, même dans les détails scénaristiques qui pourraient rapprocher les deux œuvres. Ainsi, les deux personnages sont confrontés à leurs traumas, par le biais d’une psychologue dans Joker, simple introduction aux tourments du personnage de Joaquin Phoenix, alors que Caleb Landry Jones noue une vraie relation avec le personnage de Jojo T. Gibbs, qui au fur et à mesure de ses conversations pour fouiller le passé de notre protagoniste, fait évoluer la mentalité de ce dernier tout en incarnant l’écoute qu’il désespérait trouver. Cette relation à un réel impact émotionnel sur la fin du métrage et l’évolution du personnage de Douglas plutôt que d’être un simple point d’accroche pour le spectateur.

Même le handicap qui caractérise les deux personnages est différent, plus que d’être mental pour l’un et physique pour l’autre, Joker utilise ce point de départ pour surligner la folie du personnage alors que Besson s’en sert comme d’un fusil de Tchekhov, Douglas pouvant succomber à ses blessures s’il marche trop longtemps.

En réalité on pourrait bien plus rapprocher Dogman de deux films. Tout d’abord le récent The Whale, malgré un point de départ et un climat plutôt glauque, comme chez Besson, Aronofsky finit surprenamment par centrer son récit sur la quête de pardon de son protagoniste, dont la tournure est éminemment tragique. D’après son réalisateur, l’écriture de Dogman a avant tout été influencée par le film de David Lynch Elephant Man, assumant la parenté jusque dans le titre et le ton du film, qui met plus en avant l’ostracisation de son personnage, imposée par la société, le couvrant de rumeurs sous le pseudonyme éponyme ; toujours loin donc du film de Todd Phillips et son Joker, chevalier blanc des luttes de classe. Cependant, en dehors des comparaisons et pour parler un tantinet du résultat final, il faut avouer que Dogman roule sur des rails, l’écriture du film, et en particulier sa narration (en partie éclatée, plus thématique que linéaire), est assez tristement académique. La conversation entre Caleb Landry Jones et Jojo T. Gibbs est en effet le principal fil rouge du récit, et créé pour ma part, une certaine redondance au métrage. C’est le genre d’astuce qu’on a déjà vu mille fois, et qui contextualise l’un des principaux point noir du film : sa voix off. Une voix off pas omniprésente, mais qui gâche énormément de séquences dont l’image était déjà suffisante. Surtout, elle surligne beaucoup d’éléments thématiques qui auraient pourtant pu rester libres d’interprétation, et s’en remet trop souvent au texte pour décrire certaines scènes que j’aurai aimé voir filmées (en particulier dans les scènes de violence). C’est d’autant plus dommage que malgré son côté éclaté, la narration marche plutôt bien, sans réel pet de gras, assez stimulante, creusant davantage la personnalité de Doug plus que son histoire, créant un récit intime émotionnellement de plus en plus prenant à mesure que sa personnalité se densifie et qu’il atteint le point de non-retour servant d’amorce au film. S’il ne réinvente pas la roue sur le papier, Dogman a de ça pour lui de croire aux émotions qu’il convoque et d’essayer de les maximiser, les rendre les plus fortes et folles possibles, quitte à tester notre suspension d’incrédulité.

Un mot que je dirai pour qualifier le cinéma de Besson, c’est la démesure. Pas forcément dans l’ambition, les budgets, les histoires, mais plutôt dans son exécution, dans ses idées. Donc, bien que Dogman soit narrativement plutôt académique même si généreux en émotions, il doit une grande partie de son charme à sa mise en scène et même direction artistique. Certains trouveront ça insupportable, profondément bête, mais je n’arrive jamais à m’enlever de l’esprit, un côté pulp et série B qui émane de toutes les œuvres du monsieur, le mot d’ordre étant : le ridicule de tue pas. Un dicton prit au pied de la lettre dans certains choix scénaristiques, en particulier issus de la relation entre Douglas et ses chiens, un mélange entre un pouvoir filial et super-héroïque, qui, s’il aurait peut-être pu être plus creusé, n’en reste pas moins stimulant esthétiquement, et créé des séquences vraiment excitantes. Cependant, c’est presque tous les pans de la narration qui sont soutenus par la mise en scène, qui n’arrête jamais de potentiellement sombrer dans le ridicule. S’il faut uniquement parler de la caméra, il faut revenir sur une séquence de synchronisation labiale où Douglas interprète l’un des plus beau morceau d’Edith Piaf, avec un jeu de caméra très visible. L’idée de la scène en elle-même est grotesque, le résultat en devient passionnant, car en plus d’exacerber les émotions des personnages, Besson réinvente ses gimmicks et ose offrir un spectacle risqué à son spectateur, mais qui dégage toujours cette démesure, ce trop-plein, qui finalement me comble au plus haut point. Et ce, toujours en restant au bottes de son personnages, ces efforts ne sont pas dans une démarche vaine d’esthétique pour l’esthétique, mais afin de rentrer encore plus en empathie avec Douglas. Des séquences mémorables qui montrent que Besson sait encore créer des images marquantes, pour le meilleur et pour le pire, qu’on aime ou déteste, je pense qu’il est difficile de renier ce point, mais surtout, j’ai l’intime conviction que même raté, cela resterait bien plus fort et excitant qu’une réalisation plus sage et plate. Au final, ce genre d’effort donne une souffle inespéré et surtout vivifiant à une narration plus académique, en plus de se servir de nombreux moyens techniques. Dès le début, l’utilisation de la lumière est particulièrement marquante, sur cette route avec les gyrophares de police, jusqu’à la planque de Douglas à la lumière rosâtre aussi réconfortante que pesante. Cependant, c’est surtout dans son montage que le film offre les plus fortes séquences, loin des essais expérimentaux (pour être poli) d’Arthur maladie ô fion, Dogman offre des séquences parfois très fortes grâce au montage, toujours vif, et cassant souvent la monotonie de la narration. La scène du fusil notamment, devient d’autant plus impactante grâce à un montage alterné inattendu et glaçant entre la séquence racontée et celle présente. Même la musique d’Eric Serra, bien que très visible, reste profondément marquante sur certains passages et accentue le tragique ou le glauque des séquences. En effet, s’il ne la filme pas aussi frontalement que je l’aurai souhaité, Luc Besson souligne toujours la violence de son récit, et le cadre parfois sinistre dans lequel est enfermé le personnage. C’est particulièrement visible dans la planque de Douglas, qui respire l’amour pour ses multiplies canidés, astucieusement conçue pour eux et lui, mais qui de l’autre côté créé une atmosphère plus dérangeante, par le manque d’hygiène, un sentiment inhospitalier, et l’aménagement de Douglas pour se déplacer. Luc Besson s’amuse à filmer l’endroit sous toutes ses coutures, notamment dans l’une des scènes finales, tout en épaississant l’univers qu’il met en scène afin d’y accentuer les émotions ressenties tout en continuant de rendre hommage aux meilleures bisseries, par son ambition et sa réalisation.

S’il met en scène son récit et son histoire, Luc Besson n’est pas celui qui se met le plus en danger dans le potentiel de ridicule que représente Dogman, ce titre revenant à Caleb Landry Jones, jusque-là cantonné à quelques secondes rôles dans certains très bons films de ces dernières années (3 billboards, Get out,…), mais qui commence petit à petit à devenir un acteur à suivre de très très près. Dans Nitram déjà, où il y reçu le prix d’interprétation masculine, il devait déjà y jouer un personnage instable, ambiguë, et terriblement casse-gueule à interpréter. Quoiqu’il en soit, il y était formidable, terrifiant et presque trop crédible pour ne pas donner la chaire de poule. Une réelle dévotion pour ses rôles, qui se confirme une fois encore avec Dogman, d’autant plus que comme pour Nitram, ce dernier ne joue pas un rôle… évident. Un réel anti-héros, duquel on ne peut que ressentir de l’empathie pour son enfance traumatisante et sa passion pour les chiens, mais qui développe de plus en plus un caractère tragique. A la fois aliéné par des questions de foi divine, mais surtout un profond ressentiment pour le manque d’empathie auquel il fait face, il n’hésite pas à s’employer à différentes fins… douteuses, qu’il peine à renier, et dont les principaux acteurs restent ses toutous. Une ambiguïté donnant un côté réellement inquiétant au personnage, semblant pouvoir sombrer ou se retourner contre quelqu’un à la moindre contrariété. Si l’écriture ne le souligne pas plus que ça, c’est la performance de Caleb Landry Jones qui arrive à magnifier ce sentiment, apportant des nuances à son personnages. Il l’incarne complètement pour ainsi dire, et rend d’autant plus fortes certaines conversations qu’il peut avoir, que ce soit avec le personnage de Jojo T. Gibbs ou encore sa professeure de théâtre, dont la complicité enfantine se mue à l’âge adulte en un mélange d’amour sincère et d’obsession vouée à la déception qui donne à une scène assez attendue des fortes émotions inespérées. Ce dévouement pour ce rôle rend ce personnage exubérant, entre le cliché et l’absurde, incroyablement crédible, jusque dans des détails,

comme sa démarche et tous les points liés à son handicap,

en particulier lorsqu’il se rapproche de la communauté drag, et qu’il retrouve cette passion pour le déguisement, où il arrive un court instant à sortir de cette case de Dogman, pour redevenir Douglas. Même sa foi en dieu en devient particulièrement touchante, car traitée avec dévotion et empathie, un simple habillage pour renforcer la teneur tragique de l’intrigue et du personnage. Clairement, Caleb Landry Jones irradie l’image, encore plus chaque fois qu’il semble prêt à sombrer dans le ridicule, mais qu’il garde cette capacité à montrer qu’il peut adapter son talent à n’importe quelle situation. Il porte le film sur ses épaules, et incarne bien la maitrise de la démesure du metteur en scène. Plus que de simplement jouer un anti-héros à la Joker, il s’approprie son personnage et toute sa dose de tragique pour dépasser chaque influence artistique et créer un genre propre à Dogman, une série B deluxe incroyablement risquée, mais qui garde toujours un point de vue intime et sensible, dont la démesure vient renforcer notre empathie et créer la singularité du film.

Malgré une base académique, pour le pire mais pour moi le meilleur, Besson se réapproprie ce récit pour y insuffler une direction artistique ne craignant jamais le ridicule, mais qui par sa démesure permet de rentrer dans la psychologie et l’intime de son anti-héros, interprété avec ténacité mais maitrise par Caleb Landry Jones, croyant en son personnage et son incarnation pourtant casse-gueule. Le résultat ne plaira pas à tous le monde, le film paraitra prétentieux, ridicule et sûrement risible pour beaucoup, personnellement, je le défendrai comme un film clivant, dont la direction artistique démesurée, à deux doigts du grotesque, fait preuve d’une telle sincérité mais surtout sensibilité, qu’elle m’émerveille autant qu’elle m’émeut ; en plus de confirmer le talent d’un grand comédien.

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le 27 sept. 2023

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