Le titre original (Addio fratello crudele) oriente bien davantage sur le contenu du film, pour qui ignore comme moi la pièce de théâtre qui en est à l’origine. Le titre en français ou anglais ('Tis Pity She's a Whore), qui pourrait presque passer pour racoleur, est pourtant bien le titre originel de cette tragédie de 1633. Signée John Ford, je m’étais d’abord dit que le fameux réalisateur de westerns avait donc aussi écrit des pièces… Shame on me ( !), il s’agit d’un contemporain de Shakespeare, qui signait là son œuvre la plus célèbre, celle qui sera la plus controversée, et qui demeure aujourd’hui d’une puissance follement moderne (et dire que même Alain Delon et Romy Schneider se sont donné la réplique sur ce texte, dirigés par Visconti… en 1961).


Dès la première scène le sujet est posé. De retour dans la propriété familiale après ses études à Bologne, Giovanni confesse son amour sans limites pour sa sœur Annabella. Puisque l’issue tragique fait peu de doutes, ce sont les tourments des différents personnages qui occupent la scène ; comment vivre avec cet amour, partagé de surcroît, coupable et sacrilège face à la famille comme face à Dieu et ses disciples ? Le tabou de l’inceste est abordé ici frontalement, et dans la pièce comme dans cette adaptation au cinéma, le traitement n’est pas à la condamnation du héros malheureux. Giovanni est déjà condamné par son amour, et s’il doit devenir un monstre, ce sera par le poids du tabou…


La mise en scène de Giuseppe Patroni Griffi est a priori assez fidèle au texte et à la dimension tragique des personnages. En cela, y compris dans le soin apporté aux costumes, de nombreuses scènes peuvent s’apparenter à du théâtre filmé : les personnages peuvent s’observer sans se voir, des décors improbables viennent se mêler aux vieilles pierres, les regards sont exagérément sombres et chaque geste amplifié, comme lors des scènes d’amour physique avec la gracieuse Charlotte Rampling qui trouvait là l’un de ses premiers grands rôles. Le rythme est assez lent, certains monologues un peu pesants (comme le sujet, forcément), et cela n’est pas fait pour capter un grand public. Même la campagne du nord de l’Italie prend ici ses habits d’hiver, elle n’est que brumes et l’on aperçoit à peine le soleil. Cependant, la dernière partie du film, absolument cataclysmique, viendra rompre cette lente descente aux enfers pour se transformer en opéra sanglant. On retrouve là un mélange des genres (drame, érotisme, horreur… mais ici aucune comédie !) qui n’effrayait pas le cinéma italien de cette époque. Cela dit, après vérification, les détails les plus « gore » font réellement partie de la pièce de John Ford, même si certains effets sont volontairement baroques dans ce passage à l’image. Mention spéciale aussi à la bande son, évidemment pourrait-on dire, avec Morricone à la baguette, dans ce qui reste selon moi sa meilleure période. La musique est omniprésente et comble les nombreux silences, le thème principal du film, maintes fois repris et décliné, sied parfaitement à cette atmosphère élégiaque, et il devient rapidement obsédant.


Vu en version originale italienne avec des sous-titres anglais approximatifs, le confort n’était pas optimal pour se laisser porter par le récit et les images. Cela dit, je n’ai pas été déçu, le film est profond avec quelques scènes saisissantes, à défaut d’être haletant de bout en bout.

Belledonne69
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le 27 nov. 2021

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