Film que je m’étais immédiatement procuré en DVD suite à sa première vision il y a une dizaine d’années afin de le rentrer dans ma collection au rayon coup de foudre. Quelles ne furent pas mes désillusions par la suite, de me retrouver à plusieurs reprises face à l’appétit d’y goûter à nouveau, contrebalancé par cette édition en VO sans sous-titres (à l’époque où mon anglais n'était vraiment pas au niveau). Je me permets de le spoiler sans culpabilité, Donnie Darko est un film qu’on a envie de bien comprendre ;)
Puis la simple résonance de la BO lors d’un trajet en voiture avec des amis a fait ressurgir trop de réminiscences. Il me fallait absolument revoir ce que j’avais jadis considéré comme un bijou.
Pitch : Donald Darko, adolescent intelligent, révolté mais aussi très perturbé, échappe à ce qui aurait pu être un accident mortel grâce à son ami imaginaire. En échange, celui-ci lui annonce que la fin du monde est pour bientôt et qu’il l’a désigné pour mener à bien son programme.
Autant le dire de suite, j’estime fort possible que ce film soit en réalité moins intelligent qu’il n’y paraît. La vision du troisième long-métrage de Richard Kelly, The Box, m’a fait plus qu’abonder en ce sens. La mise en place du compte à rebours et les apparitions du lapin géant ne m’ont fait ni chaud ni chaud. De même, j’ai trouvé très scabreuses les théories sur le voyage temporel et autres univers parallèles (et j’ai eu beau en lire quelques analyses après coup, vraiment ça ne prend pas).
Mais alors ?? Pas bijou du coup ?? Ben.. Si quand même :)
C’est-à-dire qu’il reste tout le reste. A commencer par l’emballage. Ce pastiche High School fin 80’s dans une Amérique pavillonnaire et puritaine est un délice à l’écran. Ça déambule de partout, tantôt au ralenti, tantôt en accéléré, sous une BO suintant l’époque et qui nous la ferait même passer pour la meilleure des décennies musicales. Le tout dans un style Lynchien à souhait (coucou Twin Peaks, coucou Blue Velvet ). On se lasse pas de revoir Jake Gillenhal à ses débuts faire très bien le dérangé, accompagné d’une pléiade d’acteurs aux bouilles 1000 fois déjà vues dans des films d’enfance (coucou Patrick Swayze, Drew Barrymore et consorts). On les aime bien. Et même ceux qu’on n’aime pas, on aime bien les détester. Savoureuse l’est également cette histoire d’amour entre weirdows.
OK, et pour le fond ??
Sans prise de risque, je crois que l’on peut parler d’un miroir tendu vers une Amérique fin de siècle et d’une critique acerbe envers l’injonction au bonheur quelque en soient les moyens (médicaments à outrance, développement personnel niais). Je suis tombé récemment sur l’affligeant spectacle de ce qu’a été le Woodstock 99, difficile pour moi de ne pas y voir dans ce désarroi générationnel les prémisses à ce type de naufrages. Idem, le « They made me do it », la signature de Donnie à ses agissements, résonne comme ce qui aurait pu être le titre du préquel au Elephant de Gus Van Sant qui sortira 2 ans plus tard.
Et pour plus de fond encore ?? Attention, c’est ici que ma critique va s’égarer en considérations bien plus personnelles. Mais je crois que c’est l’apanage de ce genre de film, ovni plutôt qu’avion, baigné dans l’abstraction, à tel point que le spectateur a le loisir d’y laisser divaguer ses propres affabulations. Et si pour moi Donnie Darko est toujours ce bijou d’il y a 10 ans, c’est bien par le don qu’il a de chatouiller mon existentialisme.
Voir le personnage d’un révolté soudainement devenu super-héros se demander que faire de ses supers-pouvoirs propose une réflexion hautement morale. Peut-être devrais-je m’intéresser à la série The Boys, j’ai cru comprendre que l’on était là au cœur du problème. M’enfin.. le tonton de Peter Parker en parlait déjà. Et pour référence plus noble encore, la question me renvoie particulièrement à celle de Robert Musil dans son Homme sans qualité : « Croyez-vous qu’un homme, quel qu’il soit, qui lutte aujourd’hui contre telle ou telle cause, si un miracle faisait de lui le maître tout puissant du monde, réaliserait le jour même ce qu’il a réclamé toute sa vie ? Je suis persuadé qu’il se donnerait bien quelques jours de sursis. » J’y ai ici vu les désarrois de l’élève Darko, persuadé de la sainteté de sa révolte mais qui va quand même finir par prendre un certain recul sur le bienfondé de ses agissements.
Mais si cette question me taraude autant, c’est qu’elle interroge sur le quoi faire de nous et de nos petits pouvoirs, si tant est que l’on ait un peu de lucidité. J’en viens alors à ce qui est pour moi l’idée la plus magistrale du film, la vision qu’a Donnie de ces pseudopodes s’extirpant du corps des personnages et précédant chacune de leurs actions. Spinoza n’aurait pu rêver de meilleure postérité, son déterminisme magistralement porté à l’écran. Cette dimension imperceptible, Donnie y accède. Dès lors, peut-il en vouloir au monde, au genre humain, d’être ainsi gouverné par ce qui les dépasse. Déterminisme ? Existentialisme ?
Donnie l'a lui-même dit plus tôt, c’est beaucoup de paramètres la vie.
Fou il l’était, lucide aussi. Ces traits n’ont tout au long fait que s’accentuer. Sommes-nous face à un être incapable d’accéder à la normalité, ou du moins à se mettre au niveau de la norme prodiguée. Qu’en est-il de ce sourire avant qu’il s’endorme ? Un plaisir à renoncer à la vie ? A simplement la laisser aux autres ? J’y ai davantage vu la possibilité d’une réconciliation dans une sorte de Monde comme il va. Il a rencontré l’amour de quelqu’un. Il vient d’embrasser sa sœur sur le front. Peut-être même aurait-il eu plaisir à se réveiller le lendemain.
Destin cruel alors que ce retour en arrière auquel lui seul ne survivra pas. Qu’importe, la poésie douce-amère de ce Mad World vient s’apposer au défilé de ces personnages dans ce final d’anthologie. Le monde, si fou soit-il, va continuer.