Ne vous endormez pas : la 98ème minute va vous surprendre !

Attention : cette critique est livrée avec de véritables morceaux de spoilers et de non moins authentiques moments de touche-nouillerie philosophico-fictionnelle


Insuffisant et plat à première vue, Downsizing recèle néanmoins quelques facettes et enjeux qui justifient qu’on ne le méprise pas tout à fait dans les vidéoclubs du futur.


Prolégo(go)mènes


Ce film propose non pas une, mais plusieurs expériences de pensée (placer ici la musique d’Inception). Par « expérience de pensée », j’entends la description d’une expérience au sein d’une fiction. Le récit fictionnel invente un cas, part d’un postulat (ici, la capacité à rétrécir n’importe quelle forme organique) afin de réaliser (ou non) un objectif théorique ou conceptuel. Le plus souvent, le but est moins d’obtenir un savoir direct sur le monde (ce serait là le « résultat » d’une expérience empiriquement réalisable) que de considérer à nouveaux frais les savoirs constitués.


Dans cette perspective, Downsizing peut se lire à différentes échelles, malgré une pauvreté apparente. La grande maladresse qui le caractérise sur le plan scénaristique pourrait avoir été prévue comme une des cordonnées de l’expérience à laquelle nous sommes livrés…


Niveau 1 : Le récit conjectural du downsizing : que se passerait-il l’on pouvait rétrécir les humains pour qu’ils ne mesurent plus que douze centimètres ?


A cette première échelle, le film est assez plat et simple. Bourré d’incohérences, il semble naviguer à vue, se perd souvent en chemin dans des longueurs inutiles. Pour aller vite (contrairement à Alexander Payne), Paul Safranek, le protagoniste, déçu par ce que la vie lui a proposé décide, d’un commun accord (ou du moins de ce qu’il croit tel) avec son épouse de participer à l’expérience, déjà éprouvée, qui consiste à subir un processus de diminution de taille lui permettant de ne plus mesurer que douze centimètres et d’intégrer alors une communauté protégée, à l’abri du besoin et des soucis du commun des mortels : le « Leisureland ». Nous sommes ainsi assez proches du premier voyage de Lemuel Gulliver (chirurgien de marine, autre point de comparaison) découvrant les Lilliputiens qui mesurent environ 15cm de haut.


Du fait de leur miniaturisation, les habitants de cette communauté ont des besoins très faibles et pèsent de la même façon sur l’environnement. De plus, et c’est un des enjeux cruciaux, le niveau de vie, lui, n’y est pas réduit, mais considérablement augmenté (le capital de 52 000 dollars du couple correspond à 12,5 millions de dollars dans le Leisureland).


Si l’on s’en tient à ce niveau, il n’y a pas grand chose à dire, sinon que le réalisateur souligne de façon assez angoissante la confusion entre la maison de Barbie, le rêve que Disneyland a terraformé dans les esprits américains et le fantasme non moins délétère des gated communities. A noter que le danger extérieur n’est plus le pauvre ici, mais tout ce qui se déplace et mesure plus de douze centimètres, sans compter les phénomènes météorologiques (la question du racisme est donc, pour un temps, éludée, retardée).
Les quelques séquences réservées à la présentation de Leisureland sont tout à fait réussies, puisqu’elles parviennent à suggérer le rêve américain (la fascination béate pour des bâtisses cossues et prétentieuses, pour un train de vie luxueux mais accessible aux classes moyennes, paradoxe assez cocasse) tout en suggérant le malaise. A cet égard, la séquence où Neil Patrick Harris et Laura Dern révèlent leur intimité (feinte) de couple dans une vraie-fausse maison de poupée escamotable sous l’oeil implacable des caméras est très réussie.
Cependant, et c'est là peut-être le problème majeur de ce film : le réalisateur n’a jamais le courage de transformer véritablement l’utopie en dystopie, il ne parvient jamais à rendre, aux yeux du spectateur, le « bonheur insoutenable » ! C’est pourtant le moins que l’on pouvait attendre, compte tenu du postulat (et du trailer !).


Niveau 2 : Et si l’on faisait un film sans scénario, en laissant simplement tourner les caméras ?


Si l’on prend un peu de hauteur, le long (très long) métrage semble naviguer à vue. La première partie, focalisée sur l’exposition des raisons qui poussent Paul Safranek à quitter sa vie de frustrations et d’espoirs déçus, puis sur son nouveau départ, n’en finit pas.
Alors que l’on commençait sérieusement à sombrer, de façon inattendue, la deuxième partie du film agit comme un double fond. Christoph Waltz (accompagné d’Udo Kier) n’est pas pour rien dans ce réveil. Guest de luxe, il ébroue un peu le métrage avec son personnage génial, cliché du vieux brigand qui a fait son miel du capitalisme le plus effréné pour mener une vie facile, cynique, alternant fêtes lumineuses et sombres contrats. Sans cabotiner, il parvient à redonner un peu de vie et de piquant aux scènes où il fait résonner son rire.
Le personnage de la dissidente vietnamienne (Hong Chau), d’abord clichéique, se révèle un peu, devient plus riche, mais c’est trop tard, le film est fini (du moins tout le monde dort déjà dans la salle).


Cette expérience de pensée — car c’est encore l’intérêt essentiel de ce long-métrage : proposer une conjecture qui permette d’asseoir un récit — est l’occasion de proposer un regard sur quelques questions de société, ce qui peut surprendre pour une production de ce genre. On peut d’ailleurs se demander si là n’était pas un des objectifs du réalisateur : livrer un blockbuster et/mais confronter le cœur de cible à des questions qu’il ne s’attendait pas à trouver dans une comédie a priori innocente. Le film insiste notamment sur l’intégration économique et sociale des travailleurs immigrés et notamment mexicains, qui viennent dans l’ombre après la fête des riches blancs pour nettoyer et récupérer les denrées périmées (nourriture, médicaments) que ceux-ci, gracieusement, leur abandonnent…). Il est aussi question de downsizing forcé (pour survivre, dans le cas de l’immigration) ou imposé (pour se débarrasser des dissidents politiques). Mais cette idée cruciale loin d’être développée et réfléchie, est juste balancée à la tronche du spectateur. Qu’il se débrouille après tout !


Pour l’amour du lol voici ce que le réalisateur confiait dans une interview du Point :



Comme vos films précédents, Downsizing est totalement imprévisible.
Vous improvisez le scénario pendant le tournage ou quoi ? (rires)



C'est ce qu'on me reproche souvent : les gens ont l'impression de voir
deux ou trois films différents dans un seul, ou bien un film constitué
de plusieurs épisodes. Et sur Downsizing, ça n'a pas raté, certains
journalistes m'ont critiqué pour ça. Beaucoup de scénaristes écrivent
d'abord un squelette d'histoire, avec un début, un milieu et une fin,
où ils placent ensuite les dialogues. »



On est d’accord qu’on est sur la base d’un aveu, là, non ? La fameuse technique du « Y a pas que moi, Madame ! » très tôt expérimentée à l’école !
… Mais c’est pas fini :



« Jim et moi ne faisons pas ça : on ne planifie pas notre script. On
se réunit chaque jour en explorant ce qui pourrait arriver aux
personnages et en se disant que si nous-mêmes ne savons pas ce qui
arrivera le jour suivant, le public sera constamment surpris. Pour
moi, il faut voir ce film comme un road trip en plusieurs étapes, qui
va ici et là en suivant Paul Safranek/Matt Damon en point de repère et
qui emprunte des chemins toujours surprenants »



Niveau 3 : Et si l’on faisait un film sans héros, en laissant simplement les aventures survenir ?


L’impression générale d’un film lent et mou nous amène à considérer non plus l’intrigue, mais la constitution même de son protagoniste.
Si le film semble constamment naviguer à vue, cela est d’autant plus saisissant que ce principe est mis en abyme (et en images) en permanence : le « héros » passe son temps à se déplacer d’un espace à un autre, bateau, avion, car, etc (voir à cet égard, la très longue traversée vers la Norvège qui inaugure la dernière partie du film) sans jamais vraiment savoir ce que sa destination lui réserve. C’est encore plus vrai lorsque Paul rencontre Ngoc Lan puisque c’est elle qui, tout d’un coup va régler son emploi du temps en lui imposant ses propres impératifs (« - Tomorrow, eight o’clock ! »).
Il n’est pas anodin de trouver ce genre de personnage, comme balloté par les flots de la narration, incapable de décider ni de faire des choix importants. Paul ne semble qu’un des maillons de la chaîne événementielle, il subit plus qu’il n’agit, et ne se prépare jamais à rien. En cela, il hérite de toute la tradition du héros picaresque, personnage courageux, mais ouvert aux quatre vents de la narration. Ce trait de caractère est souligné de façon cynique par Christoph Waltz. De fait, Matt Damon impose son inertie tout au long du film, il semble incarner le métrage (!), indécis et amorphe, mollement fasciné puis mollement déçu avant d’être mollement amoureux. A cet égard, encore, il est loisible de considérer que cette faillite des émotions fait partie du message du film. Le mirage de Leisureland et de l’otium perpétuel (au prix d’une opération irréversible, quand même) révèle en fait, comme le dit très bien Dusan/ Waltz une vie où tout le monde se fait chier.
Le personnage principal, « héros » malgré lui, comme le Candide de Voltaire ou le Jacques de Diderot semble incapable d’agir sur le monde. Suprême ironie, le seul « acte » qu’il réalise à la toute fin du film semble dicté moins par sa volonté que par le principe du fatalisme/déterminisme (coucou Diderot !) qu’il vient d’énoncer à sa mie.


Le réalisateur semble prendre un plaisir non dissimulé à tromper nos attentes, non seulement en nous interdisant de comprendre ce que nous sommes en train de regarder — impression pérenne, et très étrange — mais encore en proposant des personnages creux ou repoussoirs : Paul Safranek, comme le souligne Christoph Waltz, puisqu’il n’a pas la force ni la volonté nécessaires pour agir véritablement est celui dont il ne faut pas se méfier car il ne parvient jamais à ses fins. En cela sans doute, il le considère comme un « funny neighbour ». Encore une figuration métaleptique ? C’est presque sûr. Alexander Payne passe son temps à trouver des solutions pour que le film parle de lui-même, à travers des images fortes ou des porte-voix.


Niveau 4 : le crépuscule des idoles, des concepts et des mirages ?


Bon, et puis, évidemment, on ne l’a pas dit, mais le film est plutôt réussi visuellement. Quelques séquences restent dans la rétine. C’est notamment le cas, dans la dernière partie du film, sorte de nouveau mirage dans le mirage : cette fois-ci, ce n’est plus Leisureland et le paradis carton-pâte du capitalisme américain mais plutôt une sorte de délire écolo clichéique à base de danse en sarouel avec bolas (non enflammées) au rythme des tambours sur fond de crépuscule émouvant. Je n’exagère même pas. Mais c’est beau (^^). Vivre à l’ombre de pissenlits géants, ça a l’air cool quand même.


La morale du film, s’il en est une, semble bien amère. Le personnage est attachant parce que c’est un demi-raté, assez gentil pour être bête, pas assez cynique pour être sauvé — s’il s’agit d’un relais pour le spectateur, je vous laisse tirer vos conclusions. En tous les cas, la logique qui le fait évoluer est sauve, puisqu’elle n’existe pas.
Dans la même interview pour Le Point, Alexander Payne avouait sa volonté de parler du désespoir contemporain, d’un désespoir « global » lié à des enjeux écologiques et politiques. Plus intéressant, le réalisateur souligne combien, au lieu de changer de monde, son héros retrouve l’ancien : l’histoire se répète.


Conclusion ?
C’est finalement, peut-être l’impression que l’on gardera de ce film : une comédie qui respecte (trop ?) bien le principe d’innocuité cher à Aristote. On ne vous fait aucun mal, du moins à première vue, le héros s’en sort, et il est en couple avec une madame. Tout va bien …reste tout de même en bouche un arrière-goût bien tenace de cynisme dépressif. Les dernières secondes, durant lesquelles Paul-le-mou prend le temps d’observer Señor Cárdenas (le vieux mexicain malade du poumon auquel il apporte régulièrement du poulet dans la Cour des miracles de Leisureland) signalent que rien n’a changé et que ce récit de formation n’en était pas un. Rappelons-le : au début du film, la vie de Paul-le-mou se résumait à soigner les clavicules des Mexicains d’une industrie agro-alimentaire et à ramener de la bouffe à sa mère malade et à sa femme (bouffe dont personne ne voulait par ailleurs, lol). Nihil novi sub sole.
Nous n’avons rien appris parce qu'il n'y a rien à apprendre.
La banquise va fondre, les gens crever -- petits comme grands.
FIN.


PS : Ceux qui m'ont lu jusqu'à la fin sont prêts pour un Downsizing II (et mériteraient un badge Senscritique dédié)

Queequeg
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le 20 mai 2018

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