S'attaquer au mythe de Dracula est un pari. Un pari risqué, tant le risque de se casser les dents dessus est fort. Coppola passe quand même derrière Murnau, Dreyer, Herzog ou Polanski, qui proposaient tous des visions assez personnelles de la légende de Nosferatu, plus ou moins proches du roman de Bram Stoker. Dreyer et Murnau ont un axe inquiétant, instaurant une atmosphère d'angoisse, une forme de claustrophobie. Herzog, reprenant celui de Murnau, renforce la touche profondément romantique de l'histoire. Polanski, lui, choisit l'humour.

Coppola va donc tenter de se démarquer tout en restant fidèle au matériau d'origine 'que je n'ai malheureusement pas encore lu), et pour ce faire choisit la voie de l'érotisme, même si les choix des autres réalisateurs ne sont pas entièrement absents. Erotiser le propos lui permet de blinder son film de symboles assez facilement identifiables, les connotations sont bien mises en avant, ce qui donne à la fois une cohérence au film, tout en étant exagérément symboliste, ce qui pousse souvent à sourire.

Car c'est le principal risque de ce choix, tomber dans le too much, le kitsch, ringard et ridicule. Et plus d'une fois, à cause de ces références trop appuyées, de ce pseudo-symbolisme aux gros sabots, Coppola bascule du côté obscur et on ne peut s'empêcher de sortir du film en se demandant pourquoi il est allé si loin. Il faut avouer que trouver l'équilibre pendant plus de deux heures, au vu de l'axe emprunté, aurait été un vrai coup de maître.

Mais en dépit de ces écarts un peu grossiers, et à ma grande surprise, ça tient la route, car même ces fautes de goûts restent ancrées dans la cohérence stylistique qu'a choisi Coppola. On se retrouve avec des scènes passionnantes, qui perturbent tant elles sont à la fois évidentes, simplistes, mais apportent à chaque fois un quelque chose. Bien sûr le film est long, à commencer par le prologue qui insiste bien sur la place de victime de Dracula, condamné au repentir éternel et à ne jamais trouver le repos. Si ça fonctionne, c'est aussi grâce à la distribution. Si Keanu Reeves est aussi transparent qu'un fantôme, Winona Ryder, un peu décalée et totalement sortie de l'érotisation qui parcourt le reste du film, apporte une fraîcheur bienvenue. Tom Waits brille en Renfield, et prouve la multiplicité de ses talents une fois de plus, tandis qu'Oldman et Hopkins, sans crever l'écran, font des prestations plus qu'honorables.

Coppola fait donc un choix de proposer une version personnelle d'un matériau déjà amplement utilisé avant lui. Malgré un symbolisme par trop affirmé qui perd de sa force, il arrive à aboutir à une réelle identité, qui se cherche, parfois se perd et tombe du côté du ridicule. Ce qui n'enlève rien à la cohérence de l'ensemble et ne m'a jamais fait sortir du film, ce qui continue de me fasciner.

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le 15 avr. 2014

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Flavien M

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