Eastern Boys commence comme un documentaire énigmatique, puis prend le chemin d’une histoire d’amour ambiguë pour au final se finir comme un thriller social. L’œuvre de Robin Campillo marche sur un fil. L’ambiguïté de son récit aurait pu rendre le long métrage terriblement dérangeant, voire faussement choquant mais il n’en est que déroutant. Sans doute grâce à la subtilité des prestations d’Olivier Rabourdin et du jeune Kirill Emelyanov. La première scène, dans une gare bondée, déstabilise un peu, on ne sait qui est qui, qui suit-on, la caméra posée en hauteur suit les mouvements et les tribulations d’une bande jeunes immigrés. Daniel, sort de son train et croise Marek. A ce moment commence un jeu cache-cache entre les deux ressemblant à une scène de chasse.


Daniel va l’inviter chez lui pour une relation tarifée mais le jour du rendez-vous, ce n’est pas simplement Marek qui débarque mais c’est toute la bande qui entoure le jeune homme qui viendra squatter l’appartement puis pour le piller dans une ambiance de fête nocturne paralysante. A travers cette scène d’intrusion de domicile, Robin Campillo dégage la force de son long métrage. La qualité avec laquelle Robin Campillo installe ses personnages et son intrigue dans un contexte mondialisé est impressionnante de justesse, et distille avec une certaine finesse, une cohérence minutieuse entre sa mise en place et ses thématiques politiques. C’est la rencontre, un coup de foudre, un rapport matérialiste, une histoire d’amour ou d’amitié entre un quadragénaire homosexuel et un jeune prostitué ukrainien.


Lors de ce deuxième chapitre, il est aisé de penser à Funny Games de Mickael Haneke même si moins sordide et violent. Malgré cette tension, ce duel de provocation où cet homme semble terrifié par ce qu’il lui arrive, le réalisateur a le talent de rendre la scène vraiment incroyablement déroutante par la multitude de sentiments, de questionnements personnels qui se dégagent à travers de simples attitudes, de simples regards : Daniel semble culpabiliser par le fait d’avoir eu l’idée d’avoir une relation tarifée avec un jeune homme (majeur), puis heureux qu’ils soient tous là comme pour combler le vide d’un appartement qui le sera d’autant plus à leur départ, et finira par se mettre à danser en leur compagnie par plaisir ou pure soumission. Scène très forte par son aspect claustrophobe et asphyxiante puis fascinante par sa faculté à changer le rapport de force de la notion d’étrangers face à ses propres biens et face à son propre bonheur.


Mais derrière ça, c’est surtout un beau film, un duo à l’alchimie à la fois repoussante par l’embarras de la situation et étourdissante par sa symbiose qui avance étape par étape. Un lien qui ne cessera de grandir. Pour quelle raison, quelle volonté ? Le film y répondra sans y répondre. Marek reviendra voir Daniel après le pillage de son appartement et commencera alors une relation où Daniel fera tout pour l’incorporer dans son nouveau monde, jusqu’à le sauver de sa bande. Composé de 4 chapitres, le film met en place des thématiques qui se répondent, se disloquent de chapitres en chapitres. La place du dominant, du propriétaire, de l’étrangers ne cessera de se bousculer suivant les lieux où se trouvent les deux hommes (appartement, hôtel, magasin). Eastern Boys a un aspect politique, sociologique sans jamais se perdre dans l’introspection philosophique.


Avec sa caméra, Robin Campillo arrive parfaitement à filmer les lieux dans de petits espaces, à avoir un réel regard d’auteur sur les langages des corps et ses indications. Eastern Boys paraît limpide dans le cheminement de son écriture malgré ses quelques longueurs évitables notamment dans son troisième chapitre sur la romance entre les deux hommes.


Eastern Boys est un film d’auteur français, moderne, parfaitement intégré dans sa période en proposant des sujets d’actualité comme celui d’être étrangers dans un monde contemporain ou du rapport de domination entre les hommes d’un point sexuel ou même patrimonial, en prenant des allures de films « monde » dans une dernière partie haletante.

Velvetman
7
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le 20 oct. 2014

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Velvetman

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