Ee.Ma.Yau. est chronologiquement le 6ème film du réalisateur indien de langue malayalam, Lilo Jose Pellissery. Il précède son film absolument fou qu’est Jalikattu, plus d’une heure trente de traque d’un buffle enragé dans la forêt, un film au concept totalement barge qui pouvait s’enorgueillir de mettre à mal la candeur et l’angélisme d’une grosse partie de la cinématographie indienne, en proposant un véritable manifeste du chaos.

Alors, Ee.Ma.Yau. qui semble être une sorte d’acronyme du genre « Repose en Paix », parle d’un jour de deuil dans une famille du village côtier de Chellanam dans la province du Kerala, géographiquement située au sud-est de l’Inde. Le père meurt emportant avec lui le secret d’une vie conjugale alternative, puisqu’il a enfanté dans deux foyers différents, un secret qui va voler en éclat avec l’arrivée de l’autre famille. S’en suit alors un véritable festival de quiproquos qui toucheraient à la comédie divine, s’il n’était pas filmés de manière quasi cérémoniale.

C’est là que le génie de la mise en scène de Pellissery prend alors une allure étrangement protéiforme, qui mixerait la dramaturgie liturgique, nous sommes dans une communauté de religion chrétienne et la comédie situationnelle à la Kusturica, l’extravagance étant ici remplacé par une mise en forme digne d’un embouteillage en plein centre de Delhi. Ca fuse dans tous les sens.

Sans jamais oublier de magnifiquement jouer avec l’environnement et les éléments, avec notamment une scène finale sous la pluie à la fois terriblement dramatique dont les variations parfois désopilantes m’ont fait penser à la satire italienne à la Comencini.

En plus d’une grande application à donner vie à a sa scénographie, sans jamais user du moindre gimmicks habituels des cinémas indiens, ce réalisateur possède une véritable capacité à donner de l’intensité et de la vivacité à son matériau en distendant le temps dans des plans-séquences d’une grande maîtrise, sans jamais faire fi des réalités sociales de son pays : extrêmes lenteurs administratives, police de complaisance, ritualisation systématique, etc…

Un film plus complexe à déchiffrer qu’il n’y paraît, par un réalisateur au style, certes âpre et désillusionné, mais terriblement doué pour filmer le chaos et le désordre.

philippequevillart
8

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le 21 juil. 2022

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