El Camino - Un film Breaking Bad par Jethro Paris

Breaking Bad a toujours été une série sur les conséquences. Plus que n'importe quel autre drame, les décisions ont des répercussions et les ardoises ne sont pas effacées entre les épisodes. On a suivi l'évolution de Walter White (Bryan Cranston) et de Jesse Pinkman (Aaron Paul) depuis le premier jour dans le désert, lors du premier épisode de la série, jusqu'à l'épisode final baigné de sang, et il était facile de tracer la ligne des conséquences qui nous a menés de la ligne de départ à la ligne d'arrivée. Une structure dans laquelle le spectateur peut être sûr que l'action entraîne une réaction va naturellement renforcer l'intérêt du spectateur, et c'est ce qui a fait l'attrait de la série : comment est-ce que ce qu'on regarde maintenant va-t-il influer sur ce qui va se passer ensuite ? (Ca a également contribué à en faire une série parfaite). C'est ce terreau créatif fertile qui a ramené Vince Gilligan dans ce monde avec son film Netflix, "El Camino : A Breaking Bad Movie" - un nouveau chapitre de l'histoire de Jesse Pinkman à découvrir. Le résultat est un projet qui semble fidèle à sa source, un épilogue bien conçu pour un personnage bien-aimé qui comprend parfaitement le concept des conséquences.

Si vous n'êtes pas au courant de ce qui s'est passé dans la série à succès d'AMC, sachez que "El Camino" ne vous tiendra pas la main. Il n'est pas conçu pour exister en tant que film autonome, mais plutôt pour être regardé après la fin de la cinquième saison, même si j'apprécie le fait qu'il n'ait pas été réalisé tout de suite, donnant ainsi à son créateur et à sa star plus de temps pour enrichir le projet. Ce qui aurait pu ressembler davantage à un cash grab s'il avait été réalisé dans le sillage de la saison finale, qui a été récompensée, semble plus créatif six ans plus tard. Cependant, il faut se souvenir de ce qui s'est passé à la fin de la cinquième saison. Le plus important, c'est que Walter a sauvé Jesse des nazis trafiquants de méthamphétamine qui le retenaient prisonnier. On en apprend plus sur cette captivité dans "El Camino", et la fuite devant un traumatisme est un thème majeur du film.

Gilligan reprend tout de suite la chronologie. Walter et la plupart des nazis, y compris Todd (Jesse Plemons), sont morts. Jesse s'est enfui de la scène en criant et en roulant à toute allure dans la nuit. Naturellement, les autorités se rendent sur les lieux du massacre et ont quelques questions à poser à M. Pinkman, qui n'a qu'un seul objectif : quitter le Nouveau-Mexique. "El Camino" s'ouvre sur un flashback d'une conversation avec un visage familier que je ne spoilerai pas (il y en a plusieurs dans "El Camino", bien que les plus importantes ne ressemblent pas plus à du fan service qu'à des notes de grâce pour l'arc de Jesse) sur le désir de Jesse de quitter Albuquerque et de s'enfuir jusqu'en Alaska. Pendant 122 minutes, c'est le principal objectif d'"El Camino" : amener Jesse en Alaska. Il devra échapper aux flics et à de nouveaux ennemis pour y parvenir, mais "El Camino" n'est pas exactement un thriller (malgré une merveilleuse confrontation à la "Le train sifflera trois fois"). Il s'agit plutôt d'une réappropriation d'un personnage classique de la télé, qui passe du statut de victime hurlante du destin, manipulée par Walter White, à celui de personne prête à prendre ses propres décisions.

Breaking Bad a toujours été une série profondément cinématographique, elle a été tournée sur pellicule et la transition vers un long métrage semble donc organique. Je veux dire par là que "El Camino" est à la fois cinématographique et à l'image de la série, puisque Gilligan utilise à merveille les lumières vives du Nouveau-Mexique et les ombres sombres du monde dans lequel Jesse doit s'enfoncer une fois de plus. Le langage visuel de la série a souvent été sous-estimé, et rien de tout cela n'est perdu ici. Gilligan pourrait facilement transférer ses compétences en matière de composition au grand écran (et ce film a été diffusé sur quelques-uns d'entre eux dans le cadre de sa diffusion sur Netflix).

En termes de performance, "El Camino" est un véhicule (désolé) pour Aaron Paul, un acteur qui n'a pas vraiment trouvé de rôle depuis Jesse qui lui permette d'exprimer ses talents. Il est encore une fois excellent ici, capturant la poussée et la traction du traumatisme et du besoin à l'intérieur de Jesse. D'un côté, il a vécu quelque chose d'horrible (et nous voyons des aperçus de sa période de captivité à travers des flashbacks, dont un long avec le Todd de Plemons qui informe directement l'intrigue du film) mais il sait aussi qu'il n'a pas le luxe d'avoir le temps de faire son deuil ou de guérir. Ca viendra lorsqu'il aura atteint l'Alaska.

Les fans de "Breaking Bad" établiront des parallèles thématiques entre le nouveau film et leur série préférée. Il y a quelque chose de fascinant dans le fait que Walter n'avait pratiquement personne à la fin de la série, alors que dans "El Camino", Jesse fait appel à un réseau de personnes pour lui permettre de s'échapper, y compris des alliés comme Skinny Pete (Charles Baker), Badger (Matt Jones), et même le vieux Joe (Larry Hankin). Maintenant, on se demande ce qui est arrivé à Skyler. Peut-être le découvrirons-nous en 2025.