Impossible de trouver actuellement le film de Cacoyannis en DVD à un prix raisonnable. On peut le visionner sur You Tube avec une assez belle qualité d'image et de son, en grec et sous-titré en anglais. Je l'avais vu il y a très longtemps à la télévision, probablement sous-titré en français, peut-être carrément en VF, je ne m'en souviens plus. La seule chose dont je me souvenais bien, c'était du visage tragique d'Irène Papas qui m'avait alors marqué. Mais c'est égal, quelque soient les conditions du visionnage, ça reste un chef d'œuvre.

Bien sûr, Cacoyannis adapte le texte d'Euripide au cinéma en simplifiant beaucoup de répliques (entre chœurs, coryphée et acteurs qui remettent en mémoire, dans la tragédie, les éléments historiques ou religieux) ; au contraire, Cacoyannis fait dans une certaine sobriété où il s'attache plutôt à respecter les symboles.

Des "chœurs" dans le film, il y en a mais ils apparaissent comme des groupes de gens, par exemple, les notables (muets) devant le palais de Mycènes lorsque Agamemnon arrive, les paysans dans la campagne, accablés par le sort dévolu à Électre et qui expriment leur désarroi entre eux. C'est surtout les groupes de femmes qui sont remarquables et donnent une impression d'authenticité. Par exemple, celles qui entourent Électre lorsqu'elle vit avec le berger qu'Egisthe lui a imposé comme mari. Elles sont la plupart du temps muettes mais parfois, elles s'expriment dans de courtes phrases pour marquer leur fidélité et leur solidarité à Électre. Elles sortent de nulle part, elles préviennent Électre d'une visite, elles se regroupent pour entourer et protéger Électre puis elles disparaissent pour revenir. Elles sont habillées de noir et voilées, portent une cruche et Cacoyannis ne nous laisse voir que les visages, d'ailleurs très beaux …

La mise en scène est très réussie. Le démarrage du film est saisissant avec les vues des murailles de Mycènes (la fameuse porte monumentale) ou encore la terrasse (le megaron, je crois) qui surplombe l'entrée du palais et la vallée en contrebas avec tous les personnages muets et immobiles au niveau du palais contrastant avec la foule (le peuple) qui acclame bruyamment dans la vallée Agamemnon triomphal. On est tout de suite mis dans l'ambiance : au palais, les gens, silencieux, donnent l'impression d'être consternés en particulier la reine Clytemnestre bien embêtée par ce retour…

La mise en scène des meurtres est juste suggérée par quelques gestes ou accessoires (filet, hache) permettant de deviner les actes horribles sans pour autant imposer les détails. On ne verra pas du tout l'assassinat d'Egisthe qui ne sera que décrit (comme dans la tragédie, du reste) ; de l'assassinat de Clytemnestre, on ne voit que le cadavre qu'Electre va doucement, tendrement je dirais, recouvrir d'un voile, ce qui est un symbole essentiel qu'on retrouve constamment dans la Grèce Antique. Le meurtre de Clytemnestre est aussi suggéré par les mouvements affolés du chœur des femmes à l'extérieur de la cabane où a lieu le meurtre. Cacoyannis respecte ainsi parfaitement les règles du théâtre antique où on ne montre pas explicitement le meurtre mais où on le raconte.

La scène des retrouvailles entre Électre et Oreste, qui est le point d'orgue du spectacle, est magnifique et remplie d'émotion même si cette émotion ne se traduit que par des yeux remplis de larmes. Le chœur des femmes qui entoure Electre est dans cette scène absolument sublime. On sent que Cacoyannis a particulièrement travaillé cette scène en gérant les mouvements et l'espace occupé par tous les acteurs de façon harmonieuse. Cacoyannis a bien respecté d'ailleurs la scène suivant Euripide (qui s'écarte notablement de celle d'Eschyle).

Et puis il me faut arriver à parler d'Irène Papas, impériale dans ce film où elle est - à jamais - Électre. Son regard mobile et plein de vie et de chaleur dans un visage inexpressif est inoubliable. C'est une maîtresse femme, tenue d'obéir aux infamies de sa mère et de son beau-père, mais pleine de rage et de haine, ivre de vengeance. Ah, la belle scène où elle découvre, grâce aux femmes qui l'entourent, la tombe interdite d'Agamemnon ! Ou encore la dernière scène où sa colère est enfin retombée et où elle s'attendrit sur le corps de sa mère.

L'actrice qui joue le personnage de Clytemnestre (Aleka Katseli) montre aussi une vraie femme de pouvoir qui jusqu'à la fin sait s'imposer.

Reste à évoquer la musique de Mikis Theodorakis parfois un peu déstructurée mais toujours avec des rythmes ou des sonorités obsédantes. Cela convient parfaitement à cette ambiance de vengeance et de haines refoulées.

Au final, il faut quand même reconnaître qu'il faut bien avoir en tête l'histoire tortueuse de cette famille des Atrides et les différents enjeux caractérisant les personnages si on veut apprécier le film. Il n'y a guère d'explication ou de rappel de Cacoyannis pour aider… Faute de quoi, le film peut vite devenir très ennuyeux surtout qu'il ne se passe pas toujours grand-chose …

Mais si on apprécie ces légendes, alors le film devient éblouissant et on est subjugué par le personnage d'Électre et le jeu inoubliable d'Irène Papas.


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le 15 mars 2023

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JeanG55

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