Entre enfant et amant, le choix n'est pas si lancinant.

Le genre de film qui nous laisse "perplexe".

Pas quant à sa qualité ou son intérêt. En effet, entre les plans-séquence quasi contemplatifs - comme il est à la mode d'en faire mais relevant ici d'une beauté significative, nous retiendrons le plan d'ouverture et le plan final ; les majestueux et méticuleux travellings et la musique que l'on regrette si ponctuelle mais dont la parcimonie donne cependant tout son sens; le réalisateur, Andrei Zviaguintsev démontre de son talent et le film de sa beauté et son intelligence.

Toute oeuvre majeure revêt surement son statut du fait qu'il nous paraît à nous, lamdbas pseudo-cinéphiles, comme simple et fluide. Si l'on ne s'y attarde pas, la trame narrative - tenant en quelques mots - pourrait nous le laisser croire. Mais il n'en est rien. Les ficelles ne nous sont simplement pas dévoilées dès le premier abord. D'une grande complexité, de toutes parts, aucun de ses plans ni effets ne sont laissés au hasard. La séquence où l'on voit Elena refaire minutieusement le lit pendant plusieurs minutes - que certains trouveront inutile - atteste ainsi d'une authenticité qui marque le film. Rien n'est impressionnant ou spectaculaire - pas même la mort - mais tout est vrai.

Le début du film, quasi dénué de dialogue nous plonge in medias res dans le récit. Mis à part, qu'il ne s'agit pas ici d'action, à proprement parler mais d'ambiance. C'est une sorte de lenteur, à la fois reposante et angoissante qui s'installe dès les premières minutes.

Ce calme renvoie au monde de Vladimir, à son appartement luxueux éloigné des réalités sociales de la pauvreté de la population russe, incarnée par la famille d'Elena - où règne l'agitation et le bruit. Le trajet en train est ainsi l'occasion pour Philipp Glass, compositeur, d'immiscer quelques notes juxtaposées aux bruitx de la machine (clin d'oeil furtif au cinéma soviétique avant-gardiste?). C'est aussi là qu'une vendeuse de journaux crie, à l'arrière-plan. Cet élément est anecdotique mais nous prépare à l'arrivée dans un tout autre monde. Celui du fils vivant à l'étroit avec sa femme et ses deux enfants dans ce qui semblerait être l'attente d'une vie meilleure. Ça crie de tous côtés, ça mitraille bruyamment sur la console de jeu, ça appelle dans les escaliers et ça boit à tout va. Un portrait peu glorieux, en somme. C'est pourtant dès ce moment-là, que Elena qui paraissait auparavant docile, prête à accepter la décision de son mari, se montre alors être une mère et grand-mère aimante et dévouée. Malgré la paresse de son enfant - " on a de la bière?" s'adressant à la Femme, serait ainsi sa ritournelle - et le je-m'en-foutisme d'une jeunesse désabusée par la pauvreté et la violence ambiance, incarnée par le petit-fils ; on comprend dès lors, que malgré les risques que cela comporte, et aussi tragiques soient-ils, ce sera à sa famille de sang qu'ira finalement, le coeur d'Elena.

D'un apparent dépouillement, le film présente ainsi paradoxalement une multitude de détails et de significations cachées.

Un des tours de force tient en ce fait que Vladimir n'est cependant, pas perçu comme un monstre. S'il partage vie et argent avec Elena, il refuse d'assister ceux qu'ils considèrent comme des étrangers: c'est au père de famille de subvenir aux propres besoins de son foyer. Et cela est compréhensible. Ainsi, si nous ne pleurons pas sa mort, nous n'y trouvons aucune jouissance particulière. Le geste de Elena nous paraît même quelque peu déraisonnable. Mais elle non plus, on ne peut pas la blâmer. Une mère reste une mère. C'est ainsi que même si elle devait en arriver au pire, c'est avec conviction et de façon évidente qu'elle allait y arriver. D'une personne à une autre, la question était de vie ou de mort, quelque soit son choix. D'un homme à un fils, l'hésitation n'était que réthorique.

Le film se clôt sur une happy-end provisoire - nous laissant à imaginer les conséquences encourues par l'acte posé. Mais dans tous les cas, Elena semble être plus apte à les assumer qu'elle ne l'aurait été de laisser sa famille mourir peu à peu, dans la pauvreté, à l'armée, ou pire encore, dans une explosion du noyau familial.


A travers un traitement d'une typique froideur et rigidité russe, Zviaguintsev nous offre un récit plein de tendresse mis au service d'un propos universel, celui de l'amour d'une mère, celui de la famille. La famille est-elle plus importante que tout, que tous? (Mais ça aussi, ça me laisse perplexe)
TiouNguyen
8
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2012

Critique lue 529 fois

6 j'aime

TiouNguyen

Écrit par

Critique lue 529 fois

6

D'autres avis sur Elena

Elena
Docteur_Jivago
8

Une Russie déshumanisée

Issus de milieux sociaux opposés, Elena et Vladimir vivent ensemble, mariés et ont chacun un enfant issu d'une précédente relation. Pourtant lorsque Sergueï, le fils d'Elena, a besoin d'argent pour...

le 19 janv. 2017

20 j'aime

4

Elena
emmanazoe
8

Exquise lenteur...

Pour apprécier Elena, il faut aimer le cinéma qui prend son temps. Et même quand on en en a l'habitude, il faut bien l'avouer, Elena surprend tout de même. Le spectateur s'étonnera de cette constante...

le 28 mars 2012

18 j'aime

3

Elena
Adobtard
8

Critique de Elena par Adobtard

Pour ceux qui ont déjà eu l'occasion de se pencher sur Zviaguinstev, on se rappel en tout premier la magnifique scène dont la composition reprenait celle du célèbre tableau de Mantegna. Venait...

le 29 mars 2012

18 j'aime

12

Du même critique

Elena
TiouNguyen
8

Entre enfant et amant, le choix n'est pas si lancinant.

Le genre de film qui nous laisse "perplexe". Pas quant à sa qualité ou son intérêt. En effet, entre les plans-séquence quasi contemplatifs - comme il est à la mode d'en faire mais relevant ici d'une...

le 20 avr. 2012

6 j'aime

Melancholia
TiouNguyen
7

Critique de Melancholia par TiouNguyen

L'histoire d'un Prologue. Qu'on aurait aussi pu appeler Prélude, merci Wagner. Cette musique, par moments tonitruante, par moments juste captivante . Ces bleues couleurs. Cette photographie léchée...

le 13 déc. 2011

2 j'aime