David Lynch, cet humaniste méconnu

Avant de devenir le Dalí du 7e art, le cinéaste onirique par excellence, David Lynch réalisait Elephant Man, Freaks des temps modernes et chef d'oeuvre absolu de réalisme.


En 1980, Lynch fait donc le choix du noir&blanc pour porter à l'écran l'histoire vraie de John Merrick, homme difforme, exposé au public tel un animal, avant d'être sauvé par le docteur Treves. Quatre décennies plus tard, par sa composition sobre et sa mise en scène classique, Elephant Man détone dans la filmographie du cinéaste américain. Si tous ses films sont marqués d'un surréalisme certain et d'une spiritualité, de Lost Highway à Mulholland Drive, de Twin Peaks à Inland Empire, Elephant Man, lui, brille par son classicisme.


Classique dans sa construction, où le fil de la narration est suivi. Hormis la magnifique ouverture, sous forme de flash-back abstrait, le récit se déroule sans discontinuité, sans va-et-vient temporel à la Mulholland Drive. Classique dans sa mise en scène. Outre le choix du noir&blanc pour reconstituer l'Angleterre victorienne, Lynch ne laisse pas de place à l'artifice. Ici, la photographie est splendide (comment oublier cette fumée omniprésente qui donne vie à Londres ?) et la musique, une merveille (jamais plus Adagio For Strings ne sera utilisée avec une telle intensité). Classique dans son jeu d'acteur. John Hurt, méconnaissable, parvient à nous faire trembler au seul son de sa voix. Celle qui hurle son humanité, celle qui remercie l'ami(e) d'être son ami(e), celle qui se tait devant l'intenable souffrance qui lui est infligé. Anthony Hopkins, le chirurgien, l'homme bourgeois victorien, abrite sous son jeu l'espoir qui guide le film. Il emmène avec lui Anne Bancroft, qui joue à merveille la grande comédienne, pleine d'empathie. Comment ne pas citer également Hannah Gordon, la femme du docteur, voyant pour la première fois John, le regard profondément destabilisé et pourtant bienveillant (quelle scène magnifique) ?


J'ai toujours été étonné par le peu de considération portée à la figure du Dr Treves. Car si humanisme il se joue dans Elephant Man, c'est bien au sein de ce personnage que le débat prend sens. John Merrick en effet, bien que contraint de supplier les passants d'une gare de le croire, n'a plus à démontrer son humanité : il exprime l'humanité tout entière à mesure que Bytes l'expose comme une bête sauvage, il l'exprime depuis sa naissance où la société lui a retiré. Le Dr Treves, en revanche, révèle tout ce qu'il y a d'ambiguë dans sa démarche, et in fine, nous amène à la réflexion la plus intéressante du film : sommes-nous certains de considérer John Merrick comme un égal ? Le Dr Treves n'expose-t-il pas, à sa façon, "son Eléphant Man" à sa femme (et prend bien soin d'envoyer les enfants chez des amis pour ne pas les effrayer), à la célèbre comédienne, au public venu voir la comédienne ? Il le sauve, tout le monde en convient, mais n'essaie-t-il pas, lui-même, inconsciemment, de tirer un avantage (pour sa réputation professionnelle, pour sa propre morale, etc.) ? Il ne s'agit pas ici d'attribuer de mauvaises intentions au Dr. Au contraire, il est, dans ce film, la seule véritable source d'espoir en l'humanité (hors Merrick). Mais la démarche, aussi bienveillante soit-elle, aussi sincère soit-elle, nous questionne sur le fondement même de l'humanisme. Prendre John Merrick en pitié, n'est ce pas, aussi, un moyen de se persuader de sa propre humanité ?


David Lynch se joue de nous pendant 120 minutes. Il nous livre un manichéisme évident entre le bien et le mal pour, en fait, nous questionner nous même sur l'évidence de cette distinction. Il nous offre de l'espoir (le chirurgien, sa femme, la comédienne) pour nous le dérober ensuite, remplacée par une cruauté sans nom (Bytes, le gardien de nuit de l'hôpital). Il nous apporte un brin de réconfort, voire, osons le mot, de joie pour nous laisser, au bout du compte, dans une tristesse si douloureuse, si vive, si violente.

stan84
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le 15 août 2017

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