L'Homme, c'est pas bien (surtout quand il est pauvre)

Le dispositif - un peu lâche - du film s'évertue à apposer un jugement moral sur l’humanité, à travers le regard innocent et interrogateur d’un âne, alter-égo quasi christique du réalisateur. Face à cette tendre pureté, l’humanité aura-t-elle la moindre chance d’accéder à la rédemption ?


La première scène semble en tout cas répondre par la négative : nous sommes au cirque, symbole un peu éculé d’une société du spectacle qui fait marchandise du vivant, et dont l’objectif est bien évidemment de maximiser le profit immédiat au détriment du bien-être animal.


Eo arrive toutefois à s’échapper au gré de différentes péripéties, excessivement stylisées et alourdies par une musique classique tonitruante où il sera confronté à toute la misère humaine… ou plutôt la misère de prolétaires, qui seront au choix violents, forcément nationalistes à tendance néo-nazie lorsqu’ils jouent au foot dans leur village ouvrier qui transpire la pauvreté et le chômage, violeurs en puissance au volant de leur 44 tonnes, pilleurs et maltraitants, que ce soit au zoo ou à l’abattoir…


La tendresse sera finalement retrouvée auprès d'un bourgeois en perdition lors d'une dernière rencontre, qui donnera lieu à une scène ridicule avec Isabelle Huppert. Cette brève rédemption sera toutefois vite cassée et toutes les classes sociales seront remises un même pied d’égalité : non, l’humanité ne mérite vraiment pas d’être sauvée aux yeux de cet âne-dieu (de ce réalisateur). Le purgatoire a rendu son verdict.


Procédé douteux mais reflet de la profonde misanthropie du film, les seules personnes sauvables, en plus de certaines femmes sensibles et bienveillantes, sont des enfants handicapés, seuls à apprécier à leur juste valeur la beauté et la bienveillance d’Eo.


Ici, pas d’analyse politique et sociale des Hommes : tout le monde est mis dans le même sac et détruit dans un même geste la nature et les animaux qui y vivent.


Jerzy Skolimowski, probable double humain d’Eo, en fait d’ailleurs des caisses pour tenter de subjuguer cette fameuse nature : ralentis à tout va, gros plans sur les muscles des chevaux (procédé déjà mis en place dans le récent As Bestas, avec aussi peu de subtilité), animaux majestueux filmés en forêt, de nuit. On ne compte pas non plus les nombreux traveling avant rapides en contre-plongée à hauteur de gazon, filmant un soleil généreux à travers les feuillages, rappelant évidemment Malick, la pertinence en moins…


Bref, si ce cinéma quasi expérimental dans la forme ne manque pas d’ambition, il rate néanmoins le coche de la subtilité et de la finesse. Si le fond du message est tout à fait entendable, voire inattaquable (oui, les êtres humains sont cruels envers les animaux), la forme ne peut en dernière instance susciter qu’exaspération et ennui.


AntoinePr
3
Écrit par

Créée

le 19 oct. 2022

Critique lue 968 fois

20 j'aime

8 commentaires

Antoine P

Écrit par

Critique lue 968 fois

20
8

D'autres avis sur EO

EO
takeshi29
9

A-t-on déjà vu un âne palmé ?

Il me reste encore quelques films de la compétition officielle à voir mais je n'imagine pas que cet "EO" puisse être détrôné et ne pas recevoir "ma Palme" 2022. Jerzy Skolimowski est un de mes dieux...

le 8 oct. 2022

61 j'aime

11

EO
B-Lyndon
4

Dévorer le monde

Dans la profusion d'images et de sons, parfois étonnante et vivifiante, parfois pataude et clippesque, que le film orchestre ; quelques moments me semblent touchés par la grâce. Jamais de ma vie je...

le 21 oct. 2022

54 j'aime

5

EO
Procol-Harum
7

L'errance mélancolique d'un âne en peine

Pendant que certains jeunes loups font du cynisme leur lucratif fonds de commerce, comme Ruben Östlund et son opportuniste Sans Filtre, des vétérans ont la bonne idée de sortir de leur tanière pour...

le 25 oct. 2022

41 j'aime

6

Du même critique

La Conspiration du Caire
AntoinePr
4

La dictature du scénario

5 ans après l’excellent Le Caire Confidentiel, Tarik Saleh revient nous raconter le voyage initiatique du jeune Adam, parti de son petit village de pêcheur à la grande ville, pour intégrer la plus...

le 26 oct. 2022

4 j'aime